Enfant maltraité, parent maltraitant ? La transmission intergénérationnelle de la maltraitance infantile
Bonjour,
Vous avez été maltraité dans votre enfance. Etes-vous condamné à maltraiter vos propres enfants ? Aujourd'hui je vous parle d'un problème très important : la répétition de la maltraitance infantile d'une génération à une autre.
On appelle ça la transmission intergénérationnelle de la maltraitance infantile.
Négligence et maltraitance infantile : deux faces d'une même pièce
La maltraitance infantile c'est comme une pièce. Elle a deux côtés.
Le côté pile, c'est ne pas faire ce qu'on devrait faire normalement avec son enfant. On l'oublie. On ne s'en occupe pas. On ne lui apporte pas ce dont il a besoin pour se construire, s'épanouir et se développer : nourriture, santé, hygiène, habillement, éducation, protection, amour, affection, disponibilité. C'est ce qu'on appelle la négligence.
Le côté face, c'est faire à son enfant ce qu'on ne devrait jamais lui faire : on est violent, on l'agresse sexuellement, on l'humilie ou on le dévalorise. On parle alors de maltraitance physique, sexuelle ou émotionnelle.
La maltraitance infantile est une pandémie mondiale. Vous savez tous maintenant ce que veut dire pandémie !
D'après l'OMS, un adulte sur 4 a été victime de maltraitance physique dans son enfance, et une femme sur 5 et un homme sur 13 ont subi des agressions sexuelles dans leur enfance.
Et ces chiffres sont très certainement sous-estimés.
Le cycle de la violence
La transmission de la maltraitance infantile fait partie du cycle plus large de la violence, qui montre que les enfants ayant subi de la violence ont plus de risques de devenir violents en grandissant. Que ce soit avec leurs enfants, avec les autres ou avec leur conjoint.
Cette idée que les parents qui ont été maltraités ont plus de risques de maltraiter leurs propres enfants repose quand même sur un certain nombre d'études sérieuses. Mais les résultats de ces études varient énormément en fonction de la manière dont elles ont été réalisées.
Le risque de reproduire la maltraitance varie en effet de 6 à 70 % ! Avec une moyenne autour de 20 à 30 %.
Deux croyances sur la maltraitance infantile
Si on demande aux gens ce qu'ils pensent de ce problème, on retrouve deux croyances très répandues :
- Premièrement, que les personnes qui ont été maltraitées enfant risquent de maltraiter plus tard leurs propres enfants
- Et deuxièmement, que les personnes qui maltraitent leur enfant ont été maltraitées elles-mêmes dans leur enfance.
Regardez ce schéma :
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Sur le cercle de gauche, en jaune, vous voyez que seule une petite proportion de personnes ayant été maltraitées devient maltraitante.
Vous pouvez donc vous rassurer : ce n'est pas parce que vous avez été maltraité enfant que vous deviendrez bourreau de vos enfants !
Deuxièmement, vous voyez sur le cercle de droite, en bleu, que parmi les adultes maltraitants, la majorité n'a pas été victime de maltraitance dans son enfance.
On peut maltraiter ses enfants sans l'avoir été soi-même.
Il y a donc d'autres raisons qui conduisent à la maltraitance infantile.
Les conséquences de la maltraitance infantile
Et que sait-on des conséquences de la maltraitance infantile ?
Nous savons maintenant qu'elle perturbe gravement le développement intellectuel et psychologique de l'enfant, sa santé physique et mentale et aussi sa vie sociale.
Il est donc indispensable de trouver des moyens d'arrêter la maltraitance et de favoriser le bien-être des enfants et des familles.
Et pour y parvenir, on doit d'abord comprendre ce qui favorise cette transmission intergénérationnelle.
Les théories
Alors, pour les courageux, voyons maintenant les principales théories qui permettent de mieux décoder ce phénomène complexe.
Les maladies mentales
Les premières recherches pour comprendre la transmission de la maltraitance d'une génération à une autre ont d'abord mis en cause la santé mentale du parent maltraitant.
Etre déprimé, souffrir d'un syndrome de stress post-traumatique ou de troubles dissociatifs, et bien ça augmenterait le risque, pour une personne ayant été maltraitée dans son enfance, d'être maltraitante avec ses propres enfants.
On peut le comprendre, notamment depuis qu'on connait mieux les conséquences de la mémoire traumatique. Mais tous les parents maltraitants ne souffrent pas de ces maladies.
Et chose encore plus surprenante, certaines études montrent que ces maladies pourraient, au contraire, protéger l'enfant de la maltraitance parentale !
Car la personne qui en souffre va plutôt s'isoler, se replier sur elle-même, et donc réduire les interactions avec son enfant.
Moins d'interaction, donc moins de risque de maltraitance !
Quatre théories principales sont venues enrichir la compréhension de cette transmission intergénérationnelle.
La théorie de l'apprentissage social
On sait tous que l'être humain apprend en observant les autres.
Un enfant qui subit de la maltraitance de son parent risque d'en conclure que c'est quelque chose qui se fait, que c'est normal.
Il en arrive à croire que l'agressivité est une solution efficace et acceptable pour résoudre des problèmes ou des conflits.
Il risque donc d'imiter plus tard le comportement de son parent maltraitant.
Cette théorie de l'apprentissage social s'appuie donc sur la notion d'observation et de conditionnement.
La théorie du traitement de l'information sociale
Maintenant, imaginez que vous parlez à quelqu'un et que la conversation s'envenime un peu.
Si vous avez déjà vécu enfant des situations violentes, vous avez construit inconsciemment des règles et des schémas qui servent de filtres pour décoder et évaluer ce que vous êtes en train de vivre.
Vous interprétez alors de manière erronée la voix, les mimiques et les attitudes de l'autre personne.
Vous percevez tous ces signaux comme des signaux agressifs.
Et vous attribuez à votre interlocuteur une intention hostile.
Vous risquez alors de choisir une réponse qui sera liée à votre perception fausse. Vous allez par exemple décider de vous venger.
Cette théorie du traitement de l'information sociale a surtout permis d'expliquer comment les personnes maltraitées interprètent de manière anormale ce qu'elles entendent et ce qu'elles voient.
Même face à des provocations minimes, elles réagissent de manière très agressive, tout en étant persuadées que leurs réactions agressives sont tout à fait acceptables et qu'elles aboutissent à des résultats positifs.
Vous voyez que cette théorie nous aide surtout à mieux comprendre la transmission de la maltraitance physique.
La théorie de l'attachement
dont j'ai déjà parlé dans des vidéos précédentes, nous éclaire aussi sur cette transmission de la maltraitance.
La relation d'attachement se construit pendant la première année de vie de l'enfant entre lui et ses parents, surtout sa mère.
L'enfant construit inconsciemment des modèles de lui, des autres et de la relation entre lui et les autres.
Est-il une bonne personne, est-il digne d'être aimé ?
L'autre est-il digne de confiance, est-il fiable, sera-t-il disponible en cas de besoin ?
Dépendre de l'autre est-il dangereux ou pas ?
Si la mère est disponible pour répondre de manière adaptée, prévisible et avec sensibilité aux besoins de l'enfant, l'attachement qui se développe sera sécure.
L'enfant grandit alors avec un sentiment de sécurité, de confiance en lui et en l'autre.
Il est capable d'explorer son environnement et son monde intérieur sans trop d'angoisse, et il développe un sens positif de qui il est, de comment il se perçoit et de son identité.
Mais si le parent maltraite l'enfant et ne répond pas à ses besoins d'une manière appropriée, l'attachement sera insécure et le développement de l'enfant sera profondément perturbé.
La maltraitance aura de nombreuses conséquences sur la biologie cérébrale de l'enfant et sur sa capacité de réguler ses émotions.
Il se sentira impuissant et en danger.
Son développement intellectuel, son comportement et ses relations aux autres en souffriront.
Comme le type d'attachement reste globalement identique tout au long de la vie, un attachement insécure risque donc d'avoir des conséquences négatives chez l'adulte.
Le risque de maltraitance augmente car le parent n'est pas disponible émotionnellement pour répondre de manière adaptée à son enfant.
Le modèle écologique
J'ai déjà décrit le modèle écologique dans un article sur les abus sexuels et la revictimisation.
Ce modèle souligne que l'individu n'est pas tout seul et que l'environnement a un impact sur ce qu'il vit.
Il nous montre que quatre systèmes interagissent pour façonner la relation entre un parent et son enfant :
- Premièrement, les facteurs individuels c’est-à-dire les caractéristiques biologiques du parent et de l'enfant, leurs histoires respectives, leurs tempéraments, leurs personnalités, leurs ressources
- Deuxièmement, la famille immédiate
- Troisièmement, l'environnement social, comme le travail, l'école, le voisinage et les réseaux sociaux
- Quatrièmement, les valeurs et les croyances culturelles, les média, le statut socio-économique
Vous voyez que la reproduction de la maltraitance infantile n'est pas provoquée par une seule cause. Ce serait trop simple !
Les différents modèles que je viens de survoler ne sont que des éclairages complémentaires pour tenter de saisir la complexité de la transmission intergénérationnelle de la maltraitance infantile.
Facteurs de risque, facteurs de résilience
Il est donc important de comprendre quels sont tous les facteurs de risque, c’est-à-dire ceux qui favorisent la transmission.
Mais le plus souvent, on l'a vu sur le dessin tout à l'heure, la maltraitance ne se transmet pas à la génération suivante.
Il est donc tout aussi important de comprendre pourquoi, c’est-à-dire de repérer les facteurs de protection que certains appellent les facteurs de résilience.
Alors à bientôt, pour une autre vidéo !
Bibliographie
Schelbe, L., Geiger, J. M., Schelbe, L., & Geiger, J. M. (2017). Intergenerational Transmission of Child Maltreatment, Springer.
Krugman, R. D., & Korbin, J. E. (Eds.). (2022). Handbook of child maltreatment. Springer.