Automutilation : sept bonnes raisons de se faire du mal

Vous avez probablement entendu parler de ces jeunes qui se scarifient ou se lacèrent les poignets, les avant-bras, les cuisses, le ventre, parfois le cou ou les organes génitaux, qui s'infligent des brulures avec des allumettes ou des cigarettes, ou qui se donnent des coups. On parle d'automutilation.

La majorité de ces jeunes sont des filles, adolescentes ou jeunes adultes. La proportion de garçons est beaucoup plus faible.

Parmi toutes les personnes qui s'automutilent, beaucoup ont été victimes d'agressions sexuelles dans leur enfance. Et certaines souffrent d'un trouble de la personnalité qu'on appelle "état-limite", ou borderline en anglais.

Définition

L'automutilation est un comportement répétitif et qui provoque des blessures modérées.

Il faut le distinguer de trois situations dans lesquelles les personnes peuvent se faire du mal :

  • D'abord des tentatives de suicide
  • Puis des automutilations très graves, comme le fait de s'arracher un œil ou de se castrer, qu'on retrouve chez des personnes psychotiques
  • Et enfin des comportements auto-agressifs qu'on peut voir chez certaines personnes atteintes d'un retard mental ou chez certains autistes.

Avant, pendant et après

Souvent, un événement déclenche le besoin de s'automutiler : une dispute, une rupture, une perte, un sentiment d'abandon.
La personne devient très tendue. Elle peut se sentir angoissée, en colère, triste ou effrayée.
Souvent, un état dissociatif s'installe en réaction à ces émotions envahissantes et incontrôlables.

Alors, la personne s'isole et s'automutile.
Beaucoup disent ne pas ressentir de douleur à ce moment-là.
Certains se sentent coupables ou dégoutés d'eux-mêmes après leur acte, mais la plupart se sentent mieux, apaisés, calmes, satisfaits. La tension, la colère, ou la dissociation ont disparu.

On interprète souvent les comportements d'automutilation comme des comportements autodestructeurs. Ce qui voudrait dire que ces personnes essayent de se détruire.

Et bien dans la plupart des cas, c'est tout simplement faux. Ce n'est pas la bonne explication. Elles se font du mal car se faire du mal les aide à survivre.

C'est paradoxal, non ? Essayons d'y voir plus clair.

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Sept bonnes raisons de se faire du mal

On sait que les victimes d'agressions sexuelles de l'enfance souffrent de nombreuses conséquences très perturbantes et douloureuses : anxiété, dépression, troubles dissociatifs, troubles alimentaires, abus de diverses drogues, troubles de la personnalité, comportements autodestructeurs, sexualité compulsive. Entre autres.

Certains de ces comportements sont en fait des moyens efficaces pour réduire un état interne de tension, de malêtre insupportable. Et les comportements d'automutilation en font partie.

A quoi peuvent-ils donc servir ? Voyons sept bonnes raisons de se faire du mal.

Les troubles dissociatifs

Les victimes d'agressions sexuelles de l'enfance développent souvent des troubles dissociatifs. La dissociation permet de se protéger en se déconnectant de la réalité trop douloureuse.
On s'absente, notre esprit part ailleurs, on s'anesthésie, aussi bien émotionnellement que physiquement. Ou on a l'impression de ne plus être soi-même, on ne se reconnait plus, on se regarde de l'extérieur. C'est la dépersonnalisation.
Ou c'est le monde que l'on ne reconnait plus, qui devient étrange, irréel. C'est la déréalisation.
Ou c'est simplement le fait de se sentir paralysé, tétanisé, incapable de bouger. On dit "faire le mort".
Au maximum, c'est une autre partie de notre personnalité qui prend les commandes. On appelle ça un trouble dissociatif de l'identité.

Ces états dissociatifs peuvent être très angoissants. Une manière de s'y opposer, c'est de se faire du mal. La douleur ou la vue du sang permet de revenir dans l'instant présent. Ici et maintenant. Et d'interrompre ce processus dissociatif.

La personne pourrait dire quelque chose comme ça : je me suis fait du mal car j'étais terrifiée de commencer à ne plus rien ressentir.
J'avais besoin de vérifier que j'étais bien réelle et que je pouvais encore me faire mal.

Le syndrome de stress post-traumatique

Les victimes d'agressions sexuelles de l'enfance souffrent souvent d'un syndrome de stress post-traumatique.
Dans cet état de stress extrême, les images de l'agression surgissent involontairement aussi bien dans la journée, c'est ce qu'on appelle des flashbacks, que la nuit dans des cauchemars.

On cherche aussi à éviter tout ce qui pourrait nous rappeler l'agression. Quitte à développer de véritables phobies.

Et on souffre d'un état d'hypervigilance dans lequel on sursaute au moindre événement inattendu.

Bref, de la terreur permanente, réactivée par plein de situations de la vie quotidienne qu'on essaye de fuir par tous les moyens.

Se faire du mal permet de fuir ces souvenirs douloureux ou ces flashbacks terrifiants : une nouvelle douleur pour cacher une douleur plus ancienne.

L'incapacité à parler

Se faire du mal, ça peut aussi servir de moyen de communication. Souvent, le traumatisme entraine une incapacité à parler. C'est ce que signifie l'expression : ne pas avoir les mots pour le dire.

Les études en IRM le montrent bien. La zone du cerveau qui permet de parler, qu'on appelle l'aire de Broca, dans le lobe frontal gauche, ne fonctionne plus normalement chez les victimes. Elles ont beaucoup de difficultés à mettre des mots pour décrire ce qu'elles ressentent.

Alors le faire vient remplacer le dire. L'automutilation sert à extérioriser et exprimer des émotions intolérables. Cette souffrance interne, invisible et qu'on ne peut dire devient une souffrance externe et visible aux yeux des autres.

La culpabilité

Se faire du mal, ça permet aussi de se punir. On sait combien la culpabilité est si dévorante chez les victimes. Même si elle est totalement irrationnelle.

Culpabilité de ne pas avoir réagi, d'avoir laissé faire, d'avoir provoqué l'agression, de ne pas avoir parlé, d'y être même retourné. L'automutilation devient alors le moyen d'apaiser cette culpabilité envahissante.

Malheureusement, l'apaisement ne dure pas et il faut recommencer à se faire du mal.

Se sentir comme mort

Certaines victimes ont l'impression de ne plus être vivantes, d'être mortes intérieurement. Parfois même, elles ont le sentiment de ne plus appartenir au genre humain. Ou elles ont tout simplement la sensation de ne plus exister ou d'avoir perdu leur identité.
Se faire mal et souffrir, ça leur permet de se rassurer et de rétablir une frontière, une limite, entre eux et les autres.

Les cicatrices et le sang deviennent ainsi des preuves réelles que j'existe, que je suis bien vivant, que je suis dans la réalité.

L'impuissance

Et puis se faire du mal c'est aussi une façon efficace de reprendre du contrôle sur sa vie. Je fais ce que je veux avec mon corps.
Quand je me fais mal, c'est moi qui suis aux commandes, c'est moi qui le ressens.
Ça me permet de retrouver mon autonomie.

Bref. Une façon de reprendre le contrôle alors que l'agression sexuelle m'a confronté à l'impuissance et à l'incapacité de réagir.

Les idées suicidaires

On a vu au début de cette vidéo qu'il ne faut pas confondre ces comportements d'automutilation avec des tentatives de suicide. Le plus souvent, les survivants disent bien que leur désir n'est pas de mourir mais d'éviter la souffrance émotionnelle de la vie. Ils se battent pour rester en vie, en utilisant des moyens externes pour apaiser des états internes douloureux trop envahissants. Ils cherchent à bloquer, à arrêter des pensées ou des sensations trop pénibles.

Par contre, ceux qui ont des idées suicidaires et veulent vraiment mourir y pensent de manière assez permanente. Ils décrivent souvent un sentiment d'impuissance, de désespoir, de colère envers eux-mêmes et envers les autres.

L'automutilation pourrait alors être un moyen d'éviter le suicide en canalisant le désir de se détruire, de mourir. Elle apporte ainsi une illusion de maitrise sur la mort.

L'automutilation servirait donc dans ces cas de protection contre le suicide.

Conclusion

Vous voyez que ces comportements d'automutilation sont en réalité des protections contre plusieurs sentiments trop douloureux, et que leur rôle principal est de réguler l'état émotionnel.
Se faire du mal permet alors de retrouver un peu de calme et de soulagement. Les croyances négatives sur soi s'estompent.

Mais cette protection ne fonctionne pas très longtemps. Il faut alors recommencer à se faire du mal. Encore et encore.

Bien sûr, les personnes qui s'automutilent ne cherchent pas à obtenir toutes le, ou les mêmes effets. Et une même personne pourra utiliser ce comportement pour obtenir des effets différents à différents moments de sa vie.

Bien entendu, toutes les victimes d'agressions sexuelles de l'enfance n'ont pas recours aux automutilations pour se protéger. Cela dépend notamment de l'importance de leurs blessures qui dépendent elles-mêmes de nombreux autres facteurs. Comme la durée et la fréquence des agressions, l'âge de la victime, l'identité de l'agresseur, la présence de violence physique, la réaction de l'entourage lors du dévoilement ou les ressources dont dispose la victime.

J'espère que ces quelques précisions vous aideront à mieux comprendre les personnes qui ont des comportements d'automutilations, et peut-être à mieux les aider.

A bientôt pour une autre vidéo.

Bibliographie

Briere, John. Therapy for adults molested as children: Beyond survival. Springer Publishing Company, 1996.

Suyemoto, Karen L. The functions of self-mutilation. Clinical psychology review, 1998, vol. 18, no 5, p. 531-554.

    Francois Louboff

  • une fille de 10 ans dit :

    Merci je lis beaucoup d’articles sur sa pour me rendre légèrement coupable et sa fait du bien merci maintenant je vais essayer car vous avez su parler avec les Bon mots
    MERCI du fonds du cœur

  • Aset dit :

    Merci infiniment pour votre site et vos articles. Il y a quelques mois, durant le confinement j’en suis venue à me torturer physiquement, sans avoir conscience que c’était de la torture, car en état de dissociation et de grande souffrance émotionnelle, et que l’activité qui m’a conduite à finir par me tordre sur une chaise défigurée de douleur était….de la peinture ! C’est seulement quand j’ai croisé reflet ds miroir au moment fatidique, quand j’ai vu ce visage hideux, méconnaissable déformé par grimace de douleur que j’ai compris ce que j’étais en train de faire !! Je ne me suis jamais arraché les cheveux, tapé la tête contre les murs, tailladé les poignets au cutter….Je n’ai jamais fait de TS, ne me suis jamais shootée aux anti-dépresseurs, ou réfugiée ds l’alcool ou la drogue….persuadée d’être quelqu’un de relativement équilibré malgré le passé….jusqu’à, à force d’être confrontée à de nouveaux abus et traumas, disjoncter, et retourner toute la rage que je portais à l’égard de ces psychopathes contre moi-même…Actuellement dos bousillé et pas sûr que ce soit récupérable, contrairement à des plaies qui se referment ou des cheveux qui repoussent….j’en viens à penser que les personnes qui s’auto-mutilent consciemment ou des addictions visibles ont une approche + « saine » puisqu’elles au moins, assument pleinement leur souffrance et la regardent en face, plutôt que de la planquer sous le tapis….bon, bonne nouvelle, ce pétage de câble interne aura permis de retrouver la mémoire sur un truc, après presque 30 ans d’amnésie traumatique….youpiiii ! L’inconscient humain est quand même éminemment labyrinthique… Merci encore pour vos explications et analyses, je sens que votre site va m’aider dans le processus de conscientisation et reconstruction.

    • Bonjour,
      Apparemment, vous avez déjà compris beaucoup de choses. La levée de votre amnésie est sans doute le signal d’un important changement. Mais les personnes qui s’auto-mutilent le font rarement en sachant ce qui les pousse à le faire. Peut-être serait-il utile de vous faire accompagner dans ce travail de reconstruction ?

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