C’est quoi la dissociation ?

Vous vous intéressez aux traumatismes psychologiques, et vous avez déjà entendu ou lu le mot dissociation.
Mais, en fait, c’est quoi la dissociation ?
Je vais faire mon possible pour vous éclairer !

Le mot dissociation a plusieurs sens.
Il désigne plusieurs concepts qui sont très différents, ce qui entraine évidemment un peu de confusion.

Plusieurs significations pour un même mot

Quand vous vous laissez aller dans un état hypnotique léger, dans une rêverie, ou quand vous avez de la fièvre ou que vous êtes sous l’emprise d’une drogue, on parle de dissociation.

Quand le psychotique délire ou se comporte d’une manière bizarre, on parle de dissociation.

Quand une personne souffre d’un stress aigu, d’un stress post-traumatique, d’une amnésie dissociative ou d’un trouble dissociatif de l’identité, on parle aussi de dissociation.

Je vais surtout vous parler de la dissociation traumatique, celle qui peut survenir lorsqu’on est confronté à un événement traumatisant.
Et cette dissociation est très particulière : elle entraine une fragmentation de la personnalité.

L'intégration

Pour mieux comprendre la dissociation traumatique, c’est plus facile de partir de son opposé, c’est-à-dire l'intégration.

L'intégration, c'est l'association harmonieuse des différentes fonctions de notre personnalité.
Habituellement, vous êtes capables de vous adapter à des environnements très différents. Pour y arriver, votre personnalité doit être non seulement stable et prévisible, mais également flexible. Et pour réussir cette prouesse, vous avez besoin de plusieurs capacités, qu’on peut appeler des processus ou des fonctions : vos perceptions et vos sensations, votre mémoire, vos émotions, vos pensées, le sens de votre identité, le contrôle des mouvements de votre corps ou de votre comportement.

Grâce à toutes ces fonctions, vous agissez de manière cohérente et coordonnée, adaptée à la situation que vous vivez, et en ayant conscience que tout au long de la journée, vous restez toujours la même et unique personne. Ça c’est l’intégration. Toutes les fonctions de votre personnalité travaillent de manière harmonieuse.

La dissociation

Mais quand survient une interruption temporaire des fonctions qui vous permettent de percevoir le monde autour de vous, de vous rappeler votre passé ou de posséder une seule identité qui relie votre passé à votre avenir, alors on parle de dissociation.

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La dissociation de la personnalité survient quand certaines de ces fonctions se dissocient des autres. Les fonctions de votre personnalité ne sont alors plus toutes réunies en un ensemble cohérent. 

On parle aussi de fragmentation des fonctions de la personnalité. Fragmentation désunion, dissociation, c’est la même chose.

Le mot dissociation est souvent utilisé seul, mais vous voyez qu’on doit le comprendre comme « dissociation des fonctions habituelles de la personnalité ». L'activité d'une ou de plusieurs de ces fonctions échappe au contrôle de la volonté et devient automatique.

Certains soldats de la première guerre mondiale qui souffraient d’obusite, une forme de stress post-traumatique, étaient pris de tremblement de tout le corps, ou de tics du visage, qu’ils ne parvenaient pas à contrôler. La fonction de contrôle des mouvements du corps était alors dissociée. Elle n’était plus accessible à la volonté. Elle échappait au contrôle conscient.

Mais si on examine le cerveau avec un scanner ou un EEG, on ne voit aucune anomalie de sa structure ou de son fonctionnement. La dissociation n’est pas un trouble neurologique comme peut l’être un accident vasculaire cérébral ou une épilepsie.

La métaphore de l'orchestre symphonique

Pour vous aider à mieux comprendre la dissociation, on va la matérialiser. On va faire appel à une métaphore.
Imaginez un orchestre symphonique. Un chef et plusieurs ensembles d’instruments :  les vents, les cordes et les percussions.
Maintenant, remplaçons orchestre par psychisme, chef par conscience, et ensembles d'instruments par fonctions de la personnalité. 

Dissociation : métaphore de l'orchestre symphonique

Prenez le temps de regarder ce schéma.

La dissociation de la vie quotidienne

Dans la dissociation de la vie quotidienne, celle qui s’installe quand vous rêvassez, quand vous conduisez sur une autoroute ou quand vous êtes dans un état hypnotique léger, l’orchestre devient indépendant de son chef.
Tous les ensembles d’instruments continuent de jouer leur partition pendant que le chef est parti faire autre chose.

Dissociation dans la vie quotidienne

Dans ces situations, la conscience relâche sa vigilance. Dans le meilleur des cas, ça peut aider à laisser venir ce fameux « lâcher prise ».

Vous pouvez aussi ressentir les effets de cette baisse de vigilance quand vous êtes stressés, fatigués, malades ou sous l'effet de drogues ou d'alcool.
Dans ces cas plus pénibles, vous pouvez avoir l’impression d’être dans un monde irréel ou de ne pas percevoir votre corps comme d’habitude.

Le chef a la tête ailleurs, certes, mais la partition est bien jouée dans son intégralité. Il s’agit juste ici d’une perturbation transitoire de la conscience.

La dissociation traduit dans ces cas simplement une déconnexion partielle entre le contrôle conscient, volontaire et les fonctions de la personnalité qui continuent leur travail d’une manière correcte.

La dissociation traumatique

Voyons maintenant la deuxième possibilité. Regardez ce schéma.

DDIssociation traumatique

Un ou plusieurs ensembles d’instruments se dissocient de l’orchestre et se mettent à jouer des partitions différentes. Ils peuvent aussi ne plus jouer du tout. Ici, l’ensemble des vents ne répond plus aux signaux de direction du chef.
Pour reprendre l’obusite de la première guerre mondiale, la fonction qui permet le contrôle des mouvements du corps se dissocie et n’est plus sous le contrôle de la volonté, de la conscience.
C’est exactement ce qu’on retrouve dans les traumatismes.

Vous voyez qu'il y a au moins deux conceptions de la dissociation. On peut la comprendre comme un trouble de la conscience, dans le premier exemple, ou comme une fragmentation de la personnalité, dans le deuxième exemple.
Et évidemment, ces deux formes de dissociation peuvent exister chez une même personne.

Le trouble dissociatif de l'identité

Il y a enfin une troisième forme de dissociation, la plus extrême. C’est celle qu’on retrouve dans le trouble dissociatif de l’identité, qu’on appelait autrefois personnalités multiples.

Une des premières descriptions de ce trouble impressionnant date de 1895. Il s’agissait d’un homme de 47 ans, gallois, qui alternait entre deux états, avec une amnésie entre chaque état.
Il y avait l'état anglais et l'état gallois.
Dans l'état anglais, le patient parlait anglais, était droitier et hypomane, c’est à dire un peu excité.
Dans l'état gallois, il était gaucher, parlait gallois ou un langage inintelligible et se présentait comme dément.
Des tracés de la fréquence cardiaque étaient différents à chacun de ces états.

Pour reprendre la métaphore de l’orchestre, regardez ce troisième schéma.

Trouble dissociatif de l'identité

Dans cette forme de dissociation, un chef alterne avec un autre, ou plusieurs autres. Et chaque chef fait jouer une partition différente à l’orchestre, en raison d’une fragmentation de la personnalité différente pour chaque personnalité.

Il y a eu dans les années 1970-80 une flambée de cas de personnalités multiples essentiellement aux États-Unis. On s’est rendu compte que beaucoup d’entre eux étaient le résultat d’une influence suggestive excessive des thérapeutes sur leurs patientes. Certaines histoires ont donné lieu à des livres et des films, comme celle d’une femme connue sous le nom de Sybil.

Dissociation : vision large ou étroite ?

La grande question qui déchire les experts est de savoir si on doit regrouper sous le même terme de dissociation toutes les manifestations dissociatives que l’on vient de voir. Certains défendent cette vision très large de la dissociation.

Mais d’autres préfèrent une vision plus restreinte de la dissociation. Ils réservent en effet ce terme aux troubles qui sont exclusivement expliqués par une fragmentation de la personnalité survenant à la suite d’un événement traumatique.

Voilà, j’arrête là avant de vous traumatiser !
Je reviendrai dans une autre vidéo sur la question de ce qu’on appelle la mémoire traumatique, qui est très liée à la notion de dissociation que nous venons de voir.

Alors, à bientôt, pour une autre vidéo !

    Francois Louboff

  • Romane BERTELLE-METIN dit :

    Merci docteur Louboff de l’existence de ce Blog. Abusée sexuellement à l’âge de 8 ans, mon cerveau m’a plongée dans une profonde amnésie traumatique jusqu’à l’arrivée de ma fille. La peur est ce qui est revenue en premier, l’effroi, la panique. l’orchestre a continué à jouer, on ne souffre pas quand on est dissocié de son passé traumatique, mais l’orchestre jouait de plus en plus mal …. .Jusqu’à une crise de panique XXL après une remarque virulente d’un formateur. c’est monté crescendo. Des pics d’angoisse dans la journée, des suées, des cauchemars, des pleurs, LA PEUR, jusqu’à devenir dingue car je ne savais pas ce qui se passait je ne faisais pas le lien. je ne mangeais plus, je ne pouvais plus dormir, LA PEUR m’avait envahie. je ne raisonnais plus. j’ai pensé mourir de douleur psychique. j’ai appelé à l’aide et depuis je suis soutenue et soignée par une psychologue qui pratique l’EMDR et une psychiatre qui pratique la MBCT.
    MERCI MERCI de votre blog qui met en mots précis et justes tous les ressentis, souvent foutraques que l’on a en tête. Il m’éclaire chaque jour et la lumière c’est la vie!

  • Juliette dit :

    « Voilà, j’arrête là avant de vous traumatiser ! »

    Pour vous, vraiment aucun mais aucun doute qu’aucun souci à faire de l’humour de ce type alors même que de fortes probabilités que la majorité des lectrices et lecteurs de vos articles sont concernées directement par des TSPT ?

  • Roxane dit :

    Bonjour, je suis admirative de votre travail. Bravo pour tout ce que vous faites.
    Je me permets ce petit commentaire pour vous dire que vous avez intégré deux fois le schéma et le texte relatif au TDI, il manque la dissociation secondaire.
    Bonne continuation, ne vous arrêtez pas, vos articles sont très utiles.

    • Bonjour,
      Je vous remercie infiniment pour votre attention ! J’ai placé le bon schéma. Je n’ai pas différencié dans la dissociation traumatique la dissociation primaire de la secondaire. Seulement en signalant « qu’un ou plusieurs ensembles d’instruments se dissocient… »
      Merci encore pour vos encouragements.

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