Maternité et abus sexuels : 9 obstacles

Bonjour,

Je vous parle aujourd'hui de conséquences particulièrement douloureuses pour les femmes qui ont été victimes d'agressions sexuelles dans leur enfance : leur difficulté à se considérer comme une bonne mère, et d'une manière plus générale, toutes leurs souffrances liées à la maternité.
Et j'utilise ici le mot maternité comme signifiant le fait d'être mère.


On connait bien les nombreuses conséquences, à court et à long-terme, des abus sexuels : mauvaise estime de soi, honte et culpabilité, perte de confiance, dépression, stress post-traumatique, crises d'angoisse, difficultés sexuelles, troubles alimentaires, douleurs physiques, automutilations, conduites à risques, tentatives de suicides, revictimisationdissociation, pour en citer quelques-unes.

Mais les conséquences qui touchent la maternité sont plus rarement décrites. 
La plupart des mères victimes d'abus sexuel voudraient être de meilleures mères que celles qu'elles ont eues et qui souvent les ont fait souffrir.
Elles ne veulent pas faire subir à leurs enfants ce qu'elles ont elles-mêmes vécu.

Certaines règleront le problème d'une manière radicale. Par peur de reproduire les agressions sur leurs propres enfants ou par peur d'être de trop mauvaises mères, elles renonceront très tôt dans leur vie à la maternité.

Mais celles qui ont des enfants souffrent très souvent de difficultés qui perturbent douloureusement leur rôle de mère. Certains obstacles les empêchent souvent d'être les mères qu'elles aimeraient être. Nous allons en aborder 9.

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Une vision très négative de soi

Ces femmes ont souvent une vision très négative d'elles-mêmes à la fois comme individu et aussi comme mère. Avec une si mauvaise estime de soi, comment avoir confiance dans ses capacités parentales ?

Elles se sentent rapidement submergées, inaptes et incapables de trouver un juste équilibre.

Comment être disponible émotionnellement avec son enfant sans l'étouffer, et comment poser des limites saines sans être trop oppressante ni brutale ?

Pour elles, la maternité n'est pas si naturelle que ça car elles n'ont pas eu de modèle parental suffisamment bon.

Les problèmes psychologiques

Beaucoup de victimes d'agressions sexuelles souffrent de problèmes psychologiques.

Comment assumer sa maternité, son rôle de mère, quand on est dépressive ou qu'on souffre d'un stress post-traumatique, qu'on consomme de l'alcool ou des drogues pour atténuer sa souffrance, qu'on vit dans l'angoisse ou qu'on souffre de troubles dissociatifs ?

Toutes ces souffrances réduisent leur force intérieure et leur capacité à être disponible pour leurs enfants.

Les difficultés avec les soins corporels

Certaines mamans sont effrayées lorsqu'elles doivent s'occuper physiquement de leur enfant, que ce soit lui donner son bain, le laver, le changer ou l'habiller.

Ces situations d'intimité avec leur enfant peuvent réactiver des souvenirs de leurs maltraitances. Certaines mères ont alors peur d'agresser sexuellement leurs propres enfants.

Pour éviter d'être confrontée à de telles réactivations, la maman peut s'éloigner émotionnellement de son enfant et s'occuper de lui de manière très mécanique. Elle peut choisir de confier certains soins du bébé ou de l'enfant à d'autres, le père s'il est là et disponible, la grand-mère ou une nourrice par exemple.

Et lorsque l'enfant devient adolescent, c'est parfois encore plus difficile pour la mère. Les changements physiques qui accompagnent la puberté de son fils peuvent déclencher l'irruption de souvenirs d'agression sexuelle.

Les  souffrances émotionnelles

En plus des difficultés avec le corps de leur enfant, les mères peuvent souffrir de perturbations émotionnelles.

Comment s'occuper de son enfant de manière appropriée quand on se sent émotionnellement absente, détachée, dissociée, engourdie, indisponible ?

Et parfois, des difficultés pour communiquer, écouter et exprimer ses émotions viennent compliquer la situation.
Pour bien communiquer, on a besoin d'intégrer un modèle sain et d'acquérir certaines compétences. Malheureusement, certaines de ces mamans n'ont pas pu en bénéficier car la communication était trop perturbée, trop dysfonctionnelle, dans leur famille d'origine.

Lorsque la maman n'a pas de soutien d'un adulte ou que son conjoint, s'il y en a un, n'est pas disponible pour la soutenir, que risque-t-il de se passer ? Et bien elle risque de devenir dépendante de son enfant. On appelle ça la parentification de l'enfant. 
C'est lui qui doit satisfaire les besoins émotionnels de sa mère. Il y a un renversement des rôles néfaste pour l'enfant, puisque ses propres besoins ne sont pas pris en compte. 
Il essaye de combler le vide maternel et devient le confident de sa mère. Mais qui prend alors en compte ses émotions, ses désirs et ses besoins à lui ?

La discipline

Poser des limites et conserver une certaines autorité peut devenir très compliqué, car les mères victimes oscillent souvent entre laxisme et rigidité éducative.

Certaines ont beaucoup de mal à gérer leur colère et leur impulsivité, et en arrivent à des punitions physiques pour essayer de résoudre les conflits avec leurs enfants. 

D'autres ont peur de blesser leurs enfants et de reproduire l'agression dont elles ont pu être victimes. Mais sous une autre forme, la violence physique.

En réalité, le risque de devenir violent physiquement avec son enfant semble plus lié à la dépression de la mère et à l'éventuelle violence du partenaire qu'au fait d'avoir été agressée sexuellement.

Inversement, de nombreuses mères victimes d'agression sexuelle ont tendance à être trop permissives : absence ou incohérences des règles, incapacité à poser des limites claires, difficultés à considérer l'enfant comme responsable de ses comportements et à le punir si besoin.
Certaines mères sont incapables de la moindre punition car elles craignent de réactiver des souvenirs douloureux de leurs abus passés.

En plus d'être trop indulgentes, certaines mères deviennent surprotectrices et ont de grandes difficultés à laisser leurs enfants devenir plus autonomes et indépendants.

Ce style parental permissif peut se comprendre. Les mères victimes veulent tellement éviter d'utiliser la force et la punition qu'elles aboutissent à l'autre extrême : ne pas tenir compte des troubles du comportement de l'enfant, refuser d'être directif, éviter toute discipline, ne faire aucune critique.

Les peurs associées à la maternité

Certaines mères ont peur d'être incapables de protéger leurs enfants, notamment d'une éventuelle agression sexuelle.

Cette peur surgit souvent quand l'enfant atteint l'âge où la maman a elle-même été agressée. Elle peut aboutir à un comportement surprotecteur et à une méfiance excessive envers les autres : au point de ne pas laisser son enfant aller chez une camarade, ne pas vouloir le confier même brièvement à un autre adulte, ou se méfier de son propre conjoint.

Certaines mères en arrivent parfois à surveiller en permanence leur fille, tant à la maison qu'à l'extérieur.
Elles leur posent des questions insistantes sur ce qu'elles ont fait, qui elles ont vu, observent leur comportement, vérifient leurs vêtements, parfois inspectent leurs organes génitaux.

Le manque de soutien externe

De nombreuses mères victimes ne sont soutenues par aucun réseau familial. Beaucoup sont seules pour élever leurs enfants. Elles n'ont que rarement le soutien du père ou d'un conjoint.

Bien entendu, elles refusent de confier leurs enfants à leurs propres parents s'ils ont été agresseurs. Certaines se rappellent que leurs propres mères étaient indisponibles émotionnellement et incapables de les protéger. 
Et elles constatent qu'elles sont toujours incapables d'apporter soutien et sécurité. Elles ne peuvent donc pas compter sur leurs mères devenues grand-mères pour les aider.

Les multiples responsabilités

Pour beaucoup de parents, les exigences de la vie quotidienne sont submergeantes. Comment équilibrer le travail, les tâches ménagères et les responsabilités parentales ?

Travailler à temps plein, s'occuper de la maison et s'occuper de son enfant est épuisant et limite l'énergie physique et émotionnelle que ces mères voudraient consacrer à leur enfant. La charge mentale devient trop lourde.

Les problèmes financiers

L'insuffisance de revenus, voire la pauvreté favorisent les problèmes de santé, d'alimentation, d'éducation et d'emploi. 
Autant de fardeaux qui viennent compliquer la maternité de ces mamans.


Voilà un aperçu des difficultés, des contraintes et des souffrances qui compliquent le rôle maternel de nombreuses victimes d'agressions sexuelles.

Peut-être que certaines d'entre vous se reconnaitront dans ces descriptions. Prenez conscience que les souffrances qui perturbent votre maternité sont souvent des conséquences des agressions que vous avez subies.

Vous devez maintenant travailler pour restaurer une meilleure image de vous-même, mieux intégrer votre passé traumatique, soigner vos souffrances et vos addictions, acquérir des connaissances et développer des compétences pour être plus à l'aise dans votre rôle éducatif et enfin trouver des amies et des membres de la famille soutenants et dignes de confiance.

Pour finir, voici 5 questions pour vous aider à approfondir votre réflexion sur votre rôle maternel :

  • Pour vous, être une bonne mère c'est quoi ?
  • Est-ce que vous pensez avoir bien fait avec vos enfants malgré vos expériences douloureuses ?
  • Est-ce que vous vous considérez comme une bonne mère ?
  • Qu'est-ce que vous appréciez le plus dans votre rôle de mère ?
  • Quels sont les aspects de votre rôle maternel que vous aimeriez améliorer ?

Alors, bonnes réflexions sur votre maternité et à bientôt pour une autre vidéo !

Bibliographie

Women who were sexually abused as children : mothering, resilience, and protecting the next generation - Teresa Gil, Rowman & Littlefield, 2018

    Francois Louboff

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