Les 4 facteurs traumatiques de Finkelhor : comprendre les conséquences d’une agression sexuelle de l’enfance
Dans une vidéo précédente, j'ai décrit les 4 facteurs traumatiques que le psychologue américain David Finkelhor appelle la sexualisation traumatique, l'impuissance, la trahison et la stigmatisation.
Ces 4 facteurs expliquent pourquoi les agressions sexuelles subies dans l'enfance provoquent si souvent des traumatismes psychologiques.
Je vais maintenant détailler un peu les principales conséquences de ces agressions sexuelles pour mieux les comprendre à la lumière de ces quatre facteurs.
La sexualisation traumatique
Ce terme désigne les perturbations des émotions et des comportements sexuels de l'enfant quand on lui impose une sexualité inadaptée à son âge et à son niveau de développement.
Des comportements sexualisés inadaptés chez l’enfant
On a souvent observé que les enfants victimes d'abus sexuels se mettaient à avoir des comportements sexualisés compulsifs, comme la masturbation ou certains jeux sexuels.
On a remarqué aussi que certains enfants ont des connaissances et s'intéressent à la sexualité d'une façon manifestement inadaptée à leur âge.
Par exemple chercher à avoir des relations sexuelles ou des relations oro-génitales avec leurs camarades de classe.
D’autres enfants vont devenir agressifs et en arrivent à agresser sexuellement des camarades ou des enfants plus jeunes.
Des inquiétudes sur leur identité
L'enfant se pose aussi des questions sur lui-même et en particulier sur son identité sexuelle.
Par exemple, un jeune garçon agressé par un homme peut se demander s'il est homosexuel.
Les filles peuvent avoir peur de ne plus être désirables et se demandent si leurs futurs partenaires seront capables de les comprendre.
Une confusion entre affection et sexualité
Les victimes ont souvent des manières de considérer le sexe et les relations sexuelles totalement faussées, qui témoignent de ce que leurs agresseurs ont pu dire et faire.
Une des confusions les plus fréquentes concerne le rôle de la sexualité dans les relations affectives.
Si l'enfant a appris à recevoir de l’affection en échange de comportements sexuels pendant un certain temps, il peut en arriver à croire que c’est une manière normale de donner et d'obtenir de l'affection.
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Difficultés sexuelles à l’âge adulte
Les adultes, anciennes victimes, ont souvent des difficultés sexuelles qui sont liées à la sexualisation traumatique.
L'adulte risque d'associer la sexualité avec la peur, le dégoût, l'agressivité, l'impuissance et d'autres émotions négatives qui perturberont sa sexualité.
Certaines victimes rejetteront la sexualité, souffriront de flashbacks de leurs agressions, de problèmes avec l'excitation sexuelle et l'orgasme, de vaginisme, et de croyances négatives sur la sexualité et leur corps.
Cela peut même aller jusqu'à un dégoût total pour la sexualité et l'intimité.
La revictimisation
Une conséquence importante de la sexualisation traumatique, c'est d'avoir plus de risques de subir de nouvelles agressions sexuelles.
C'est ce qu'on appelle la revictimisation.
Reproduction des agressions
Enfin, certaines victimes sexualisent leurs propres enfants de manière inadaptée, ce qui peut les conduire parfois à reproduire les agressions sexuelles.
Mais attention. Cela ne concerne qu'environ 10 % des victimes.
La stigmatisation
La stigmatisation décrit le fait d'être marqué de manière indélébile. Quelles en sont ses conséquences ?
Mauvaise estime de soi, honte et culpabilité
Les victimes se sentent souvent coupables et honteuses. La honte et la culpabilité sont autant les conséquences de l'humiliation subie lors des agressions que des réactions négatives fréquentes de leur entourage.
On retrouve aussi souvent une faible estime de soi qui aggrave la stigmatisation, les victimes étant persuadées d'être de mauvaises personnes voire même une marchandise avariée.
Et souvent, la jeune victime croit être la seule à subir une telle expérience.
Elle peut s'imaginer que les autres la rejetteront s'ils apprenaient ce qu'elle a vécu.
Elle en arrive alors à se sentir différente des autres.
Troubles du comportement et addictions
Les enfants victimes se sentent souvent isolés et peuvent en arriver à se droguer, à boire, à des actes criminels ou à se prostituer.
Dépression
Au pire, ils peuvent avoir des comportements autodestructeurs et tenter de se suicider.
La trahison
Voyons maintenant comment le sentiment d'être trahi participe à certains symptômes.
Deuil et dépression
Les victimes ont souvent des réactions dépressives ou de deuil qui sont liées à une perte : elles ont en effet perdu une personne en qui elles avaient confiance et qui les a trahies.
Dépendance
Après cette trahison, certains enfants victimes ont besoin de retrouver de la sécurité et de la confiance.
Ce besoin peut les amener à s'accrocher à certains adultes et à devenir très dépendants.
Et une fois devenue adulte, la victime peut en arriver à se lancer dans une recherche désespérée d'une relation réparatrice.
Avec le risque de nouveau de voir sa confiance trahie.
La revictimisation
On a vu tout à l'heure que la revictimisation pouvait s'expliquer par la sexualisation traumatique.
Et bien la recherche d'une relation réparatrice peut amener certaines femmes victimes d'inceste en particulier à s'engager dans des relations où elles seront revictimisées, aussi bien physiquement, psychologiquement que sexuellement.
Une dépendance excessive et des capacités de jugement perturbées expliquent aussi que certaines victimes ne se rendent pas compte que leur partenaire agresse sexuellement leurs enfants.
L'agressivité
Chez des victimes devenues adolescentes, la trahison peut entrainer de la colère, des comportements hostiles et agressifs.
La colère serait alors un moyen de se protéger contre de futures trahisons.
La colère peut aussi s'exprimer par des comportements antisociaux et la délinquance, qui sont peut-être une manière de se venger.
L'évitement des relations
Enfin, la trahison peut aussi conduire à de la méfiance, qui poussera les victimes à s'isoler et à fuir les relations intimes.
Parfois, cette méfiance sera tellement importante que la victime en est incapable de s'engager dans une relation hétérosexuelle.
Et si la victime parvient à s'engager dans une relation, certaines difficultés de couple pourront être liées à la méfiance et la suspicion.
L'impuissance
Dernier des 4 facteurs traumatiques, l'impuissance nourrit plusieurs souffrances.
Peur et angoisse
L'impuissance et l'incapacité de contrôler les événements nocifs entrainent peur et angoisse.
Certaines réactions qui arrivent juste après l'agression sexuelle sont liées à la peur et l'angoisse : les cauchemars, les phobies, l'hypervigilance, les comportements d'accrochement, les plaintes physiques.
Et on retrouve aussi ces réactions chez l'adulte.
Le doute de soi
A cause de ce sentiment d'impuissance, la victime doute de ses capacités et de ses compétences à pouvoir affronter les problèmes.
La dépression
Le sentiment d'impuissance sera aggravé par le désespoir, la dépression et les comportements suicidaires.
Et si la victime a été agressée plusieurs fois, l'impuissance et le désespoir se traduiront par l'anticipation que ça va recommencer.
Les difficultés professionnelles
Le sentiment d'impuissance se traduira aussi par des difficultés professionnelles, comme des problèmes d'apprentissage ou des interruptions de travail répétées.
La revictimisation
Et bien entendu, se sentir impuissant aggrave le risque de revictimisation.
Les victimes se sentent en effet impuissantes à fuir les personnes qui peuvent essayer de les manipuler ou de leur faire du mal.
Agressivité et délinquance
Le besoin de compenser ce sentiment d'impuissance peut conduire des victimes à des comportements de contrôle et de domination.
C'est particulièrement vrai pour les hommes, auxquels la société a appris qu'être un homme c'est avoir du pouvoir et du contrôle.
Ce besoin d'être dur, puissant et sans peur peut conduire certaines victimes à des comportements agressifs ou délinquants.
Devenir tyran ou agresseur, reproduire les agressions qu'elles ont subies peut servir à retrouver un sentiment de puissance et de domination, sentiments qu'elles attribuent à leurs propres agresseurs.
Les 4 facteurs traumatiques interagissent
Bien sûr, les réactions des victimes sont liées à l'interaction de plusieurs de ces quatre facteurs.
Par exemple, la dépression peut être liée à l'impuissance, la trahison et la stigmatisation.
Cette manière de voir les choses peut nous aider à mieux comprendre toutes les conséquences des agressions sexuelles subies dans l'enfance. Et elle peut aussi être importante pour adapter le traitement au plus près de la souffrance de chaque victime.
Comment évaluer l'état clinique avec ce modèle à 4 facteurs traumatiques ?
Les classifications des agressions sexuelles se sont souvent focalisées soit sur l'agresseur, soit sur la distinction entre agression intra ou extra-familiale, soit sur les caractéristiques de l'agression, par exemple présence ou pas de pénétration ou de violence.
Cette façon de voir les choses a ses limites, car elle aboutit à une classification qui prend uniquement en compte la gravité apparente de l'agression.
De plus, elle n'explique rien des conséquences ni de la manière dont le traumatisme pourra se manifester chez les victimes.
Le modèle à 4 facteurs traumatiques permet au contraire de mieux comprendre et mieux évaluer les conséquences possibles du traumatisme, en utilisant 4 dimensions différentes.
La question n'est plus de savoir si l'agression a été plus ou moins grave, mais de de comprendre comment les caractéristiques de l'agression contribuent à chacun des 4 facteurs.
Et le thérapeute pourra alors anticiper les effets les plus probables de l'agression en fonction de la présence et de l'intensité de chacun de ces 4 facteurs.
La sexualisation traumatique
Son importance sera liée à la présence ou non de pénétration, la durée des agressions et le degré de participation de l'enfant.
La stigmatisation
Elle sera évaluée avec la durée des agressions, l'âge de l'enfant, le nombre de personnes au courant et si l'enfant a été rendu responsable de l'abus après le dévoilement.
La trahison
Son degré sera évalué en tenant compte de la nature de la relation entre la victime et l'agresseur, de la manière qu'a eu l'agresseur d'impliquer la victime, des tentatives éventuelles de la victime d'obtenir de l'aide et du soutien d'autres membres de la famille.
L'impuissance
Elle sera évaluée par la présence de force, le degré de contrainte, la durée des agressions et les circonstances de l'arrêt des agressions.
Après une telle évaluation, le thérapeute devrait pouvoir tirer quelques hypothèses sur les problématiques principales de la victime et les futures difficultés qui pourraient surgir.
Cette évaluation sera aussi utile pour envisager les axes de traitement.
Par exemple, si la stigmatisation a été très présente, il sera utile de mettre en route des stratégies pour la diminuer, comme participer à un groupe de survivants, grâce auquel la victime pourra se sentir soutenue par les autres, ou participer à d'autres activités pour réparer l'image de soi dévalorisée.
Avant et après l'agression sexuelle
Même si l'agression est supposée être la cause traumatique principale, ce modèle à 4 facteurs traumatiques ne s'applique pas seulement à l'agression.
Ces 4 facteurs existent avant l'abus et continuent après lui.
L'utilisation de ces 4 facteurs permet donc de compléter l'évaluation en prenant en compte les expériences de l'enfant avant l'agression et après l'agression.
Avant l'agression
On doit tenir compte de la vie familiale de l'enfant et de sa personnalité.
Si un enfant a déjà été victime d'abus physique ou émotionnel, il aura déjà été soumis à un sentiment d'impuissance avant l'agression sexuelle.
Mais si l'enfant est plus âgé, s'il a déjà des responsabilités au sein de la famille, si son environnement familial est sain, il aura déjà développé un sens d'efficacité personnelle important.
Ici, les aspects d'impuissance liés à l'agression pourraient être moins importants ou plus passagers.
Si l'enfant vient d'une famille instable, dans laquelle la loyauté envers les autres est incertaine, le facteur de trahison a pu déjà être déjà vécu et sera aggravé par l'agression.
Mais la trahison pourra être moins importante si l'enfant à un sens de confiance fermement établi.
Après l'agression
Deux aspects sont particulièrement importants :
La réaction de la famille lors du dévoilement de l'agression, s'il a eu lieu bien sûr, et quand il a eu lieu.
Et la réponse sociale et institutionnelle au dévoilement.
Une grande partie de la stigmatisation peut en effet venir après l'agression, quand l'enfant est confronté aux réactions de la famille et de la société.
Un enfant peut ne pas se sentir trop stigmatisé lors de l'agression elle-même, mais la stigmatisation peut devenir très importante s'il est plus tard rejeté par ses amis ou blâmé par sa famille, ou si son entourage reste fixé, focalisé trop longtemps sur l'agression.
De même pour l'impuissance.
Si de nombreuses autorités interviennent, si l'enfant est amené à témoigner, s'il doit quitter le domicile familial, s'il doit répéter son histoire à de nombreuses reprises, et qu'il est ainsi soumis malgré lui à une très forte attention, tout cela peut augmenter son sentiment d'impuissance.
Mais si l'enfant a le sentiment qu'il a pu faire cesser l'agression et s'il obtient soutien et protection, cela réduira le sentiment d'impuissance lié à l'agression elle-même.
J'espère que cette vidéo va vous permettre de mieux comprendre la complexité des conséquences des agressions sexuelles subies dans l'enfance, et l'intérêt d'évaluer les 4 facteurs traumatiques (la sexualisation traumatique, la stigmatisation, la trahison et l'impuissance) avant, pendant et après l'agression.
Merci et à bientôt pour une autre vidéo !
Bibliographie
Finkelhor, D., & Browne, A. (1985). The traumatic impact of child sexual abuse: A conceptualization. American Journal of Orthopsychiatry, 55(4), 530–541
je suis sur Paris et je recherche un psychologue qui connait la sexualuté traumatique et qui peut m aider conçernant les agressions sexuelles précoces.
Aminata
Merci pour cette présentation très intéressante.
Tous ces symptômes sont connus et documentés chez les victimes de violences sexuelles, et je les rencontre dans mon travail en EFT.
Mais les organiser avec ces quatre axes sexualisation traumatique / stigmatisation / trahison / impuissance ouvre des perspectives de compréhension plus fine et plus précise.
Je vais m’intéresser de plus près au travail de Finkelhor.
Bonsoir,
Je suis ravi que cet article puisse stimuler votre curiosité et enrichir votre travail. Merci 🙂
Est-ce possible d’avoir été abusé très jeune à l’âge environ de 3-4 ans donc évidement amnésie totale. Comment faire remonter à la surface ou réussir à se rappeler de l’abus pour guérir de cet abus?
Si l’enfant ne se rappelle rien, et ignore qu’il a vécu une agression ces comportements sont t’ils quand même présent ?
Bonsoir,
Oui je pense que ces facteurs peuvent se manifester même si la personne ne se rappelle pas. C’est d’ailleurs souvent le cas avant ce qu’on appelle la « sortie du déni », c’est à dire le moment où les souvenirs d’agression refont surface, après des années, voire des dizaines d’années, d’amnésie.
Car les maltraitances (sexuelles mais aussi physiques et émotionnelles) favorisent la création de schémas mentaux implicites, c’est à dire non conscients. Et ces schémas induisent la méfiance, la mauvaise estime de soi, la culpabilité et la honte, des comportements sexuels inappropriés, des addictions, etc. sans que la personne soit forcément consciente des événements à l’origine de toutes ces souffrances.
Mais la présence de certaines de ces souffrances, en l’absence de souvenirs d’agression, ne doit pas amener à conclure de manière catégorique qu’il y a eu agression sexuelle. Il faut toujours rester très prudent dans la tentative d’expliquer son malêtre et ses symptômes.
Merci de partager des publications 🙂
L’auteur semble ne pas évoquer les aspects biochimiques : un adulte qui choisit d’exercer des violences obtient la production, dans son corps, de substances apaisantes seulement temporairement (voir les explications de la Docteure Muriel Salmona).
Ce serait bien qu’il souligne mieux que les auteurs de violences choisissent leur proie et que leurs victimes ne sont pas responsables de se retrouver « prédateées », sous emprise…
Il a aussi un point de vue sexiste : « Les filles peuvent avoir peur de ne plus être désirables » !
Seule une société patriarcale où les hommes dominent les femmes considère que les filles naissent pour plaire aux hommes et attendre passivement d’être choisies par le prince charmant !
Les thérapies devraient servir aussi à sortir les filles, les adolescentes et les femmes de cette construction sociale : à elles d’être à l’écoute de leurs propres besoins et désirs et de choisir une personne qu’elles trouvent désirables.
Merci encore,
Merci pour vos remarques. L’article de Finkelhor, dont je relate ici le contenu, date de 1985. Tous les aspects biologiques n’étaient évidemment pas connus. Depuis, notre compréhension des troubles dissociatifs a progressé en ce qui concerne tant les hypothèses psychopathologiques que biologiques.
Les victimes ne sont certes pas responsables de leur agression mais elles peuvent développer des prises de conscience et des stratégies pour lutter contre les risques importants de revictimisation.
Souhaiter que notre société évolue et se débarrasse de ses aspects patriarcaux et machistes est tout à fait compréhensible et nécessaire. Je ne pense pas avoir écrit que « les jeunes filles naissent pour plaire aux hommes ». Mais la société les conduit à développer leur ego d’une manière dangereuse. Notre ego peut nous pousser à nous conformer à des standards très contestables, pour être spécial(e) aux yeux des autres, pour être apprécié(e), le-la préféré(e), l’unique et ne pas risquer de disparaitre ou de ne pas exister. Il suffit de regarder les réseaux sociaux, ça en donne un bon reflet.
Les thérapies doivent prendre en compte le danger de vouloir à tout prix être aimé(e) et aider à se libérer de la dictature de l’ego !