Deuil, pandémie et confinement

pandémie et deuil

Je vais parler dans cette vidéo d'un sujet difficile mais ô combien actuel : la mort et le deuil d'un proche en période de pandémie et de confinement.

Vous savez peut-être que les obsèques ne peuvent plus se dérouler normalement, que les décès soient liés au coronavirus ou à d'autres causes.

​Car des décisions drastiques ont été prises par les autorités.

Si la personne est morte du coronavirus, on place son corps très vite dans une housse sanitaire, doublée d'une seconde housse avant de l'installer dans un cercueil qu'on ferme le plus rapidement possible.

Il est donc impossible de faire la toilette du mort ni de pratiquer le moindre soin de conservation.

La conséquence terrible pour les proches, c'est qu'ils ne peuvent ni voir le corps ni se recueillir devant lui.

Les obsèques sont quasi-inexistantes

Aucun proche ne peut toucher ni bénir le cercueil. Personne n'est autorisé à monter dans le corbillard pour accompagner le corps.

Quelle que soit la cause du décès, aucune cérémonie sociale habituelle, religieuse ou laïque, ne peut avoir lieu. Vingt personnes seulement peuvent rentrer dans l'église. Et ce chiffre comprend le personnel des services funéraires.

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De plus seuls les ascendants, descendants et conjoint du défunt sont autorisés à rentrer dans le cimetière. Mais pas plus de dix personnes au maximum.

Lorsque la crémation a été choisie, aucune cérémonie n'est possible. Seuls cinq membres de la famille sont autorisés à entrer dans le crématorium.

Les proches du défunt ne doivent pas rentrer en contact physique. Il n'y a donc plus aucun geste de réconfort, aucun contact physique pour apaiser la tristesse. Pas de condoléance, ni sur registre ni de vive voix.

Cette description n'est pas un scénario de science-fiction. C'est tout simplement la réalité aujourd'hui, réalité que toutes les familles endeuillées doivent supporter : ne pas pouvoir dire adieu à celui ou celle que l'on aime, ne pas pouvoir lui dire qu'on l'aime, qu'on regrette ou qu'on lui pardonne d'avoir fait ou dit ceci ou cela, ne pas pouvoir être à son côté au moment de sa mort, ne pas être soutenu par ses proches, ses amis et sa communauté, ne pas pouvoir exprimer sa souffrance à travers les rituels habituels.

​Pourquoi les rituels sont-ils si importants ?

Les obsèques ont plusieurs rôles, à la fois personnels mais aussi collectifs. Grâce à elles, nous sommes obligés de reconnaitre la réalité de la mort de notre proche et de prendre vraiment conscience que nous sommes en deuil.

Les obsèques nous aident à nous séparer du défunt, à lui dire adieu. Et en même temps ce rituel nous permet de commencer à construire un autre lien avec lui.

Grâce aux obsèques, nous pouvons exprimer nos émotions publiquement, dans un cadre social accepté par notre communauté. On se sent autorisé à ressentir et à montrer notre tristesse.

Enfin, ce rituel collectif renforce notre appartenance à une communauté, familiale ou locale le plus souvent, et consolide la cohésion de notre groupe social.

Le paradoxe des obsèques, c'est que les morts permettent de créer des liens entre les vivants. Nos amis et nos connaissances nous soutiennent dans notre deuil en montrant qu'ils appréciaient et qu'ils aimaient aussi la personne que nous avons perdue.

Et le repas que la famille partage après les obsèques avec les amis, à quoi sert-il ? Et bien il rassure les vivants qu'ils sont bien du côté des vivants. Ce rituel remet en effet chacun à sa place : les morts d'un côté, les vivants de l'autre.

​Sans ces rituels, quelles sont les conséquences sur le processus de deuil ?

On prend souvent conscience de l'importance des choses et des personnes lorsqu'elles disparaissent.

L'impossibilité de vivre ces rituels de deuil risque d'avoir des conséquences fâcheuses.

Le deuil différé

Quand on ne peut pas voir le corps mort, quand il n'y a plus de rituels ni de soutien social, quand les décès des proches se multiplient, quand il faut consacrer ses forces psychologiques à s'occuper d'enfants en bas âge et des tâches quotidiennes, alors le processus de deuil risque tout simplement d'être repoussé. Le deuil sera différé.

De plus, comment s'engager dans son deuil quand les proches ne sont pas là pour nous soutenir ou qu'ils sont beaucoup moins disponibles pour nous écouter et partager notre peine ?

Comment parler de notre avenir sans la personne disparue alors que la pandémie aggrave déjà notre incertitude ?

Quand on est en deuil, on doit souvent apprendre des choses qu'on ne savait pas faire avant pour nous adapter à ce nouveau monde sans le défunt. Comment faire ça quand on est confiné dans un petit appartement ?

On sait aussi qu'une évolution saine du deuil nécessite de consacrer du temps à ressentir toutes ses émotions, mais aussi du temps à se distraire et essayer de vivre des moments plus agréables. Chose difficile voire impossible quand on est confiné.

Le risque c'est alors de différer le deuil car toutes les conditions qui seraient nécessaires pour s'y engager ne sont pas réunies. Ou bien de sombrer dans un deuil chronique.

Le deuil déformé

Le deuil peut donc être différé, mais il peut aussi être déformé.

Si j'étais très dépendant psychologiquement de la personne qui est morte, je risque de me sentir totalement abandonné par elle. Le confinement et la solitude vont aggraver mon sentiment d'abandon. Je peux alors ressentir une colère très intense qui va me submerger. Je ne ressentirai même pas de tristesse. Seulement une grande colère.

Et si j'avais avec le défunt une relation très conflictuelle, mon deuil risque de se manifester surtout par une profonde culpabilité. Là encore, pas de tristesse. Seulement la culpabilité qui peut aboutir à la dépression et au suicide.

Le syndrome de stress post-traumatique

Un autre risque est celui de souffrir d'un véritable syndrome de stress post-traumatique.

La mort liée au coronavirus est souvent une mort soudaine, inattendue, brutale, donc traumatisante, d'autant plus que la personne est jeune. D'autres causes de mort peuvent être aussi traumatisantes : un suicide, une mort violente et inattendue, un accident. 

Mais il n'y a pas que les conditions de la mort qui peuvent favoriser un traumatisme. Le confinement lui-même, que nous subissons, peut provoquer aussi un traumatisme.

Vous voyez que le risque de développer un stress post-traumatique est alors encore plus important.

Des problèmes de santé physiques et psychologiques

Le confinement et la difficulté d'avoir accès aux soins médicaux peuvent aussi perturber la prise en charge des personnes en deuil. Elles peuvent se plaindre de symptômes modérés, comme des troubles du sommeil persistants ou des troubles anxieux.  

Mais elles peuvent aussi souffrir de véritables complications du deuil, comme une maladie physique ou psychiatrique préexistante qui s'aggrave, ou d'une réelle dépression qui s'installe.

Attention si vous êtes hypertendu ou diabétique par exemple. Continuez vos traitements et demandez conseils à votre médecin par téléconsultation.

Le deuil d'un proche nous confronte souvent à la peur de mourir nous-même. La pandémie peut aggraver cette peur et nous risquons de ressentir plus durement encore notre propre vulnérabilité et celle de nos proches.

La perte d'un être aimé créée de l'angoisse que la pandémie et la situation de confinement aggravent. Les gens trop anxieux vont essayer de lutter contre leur angoisse. Certains vont s'agiter de manière excessive, d'autres vont devenir très rigides voire obsessionnels.

La personne en deuil peut aussi avoir l'impression de ne plus être elle-même, de se sentir irréelle ou étrange, ou de moins ressentir d'émotions, ce qui peut l'isoler encore plus des autres.

La personne endeuillée risque d'avoir recours encore plus facilement, du fait du confinement et de la solitude, à la consommation excessive d'alcool ou de drogues, avec toutes les conséquences négatives qu'on peut imaginer.

Confronté à un deuil, on est souvent incapable de se concentrer ni de travailler. Mais certaines personnes préfèrent retourner rapidement à leur travail car le changement de lieu, d'ambiance, le travail lui-même les aident à ne pas être submergées par la tristesse. Avec le confinement, ce changement de contexte n'est évidemment plus possible, ce qui peut poser des difficultés supplémentaires.

Enfants, personnes âgées et soignants

J'aimerais aussi dire quelques mots sur trois catégories particulières de personnes eu deuil, les enfants, les personnes âgées et les soignants.

Les enfants

En temps normal, les enfants sont souvent oubliés. On ne les emmène pas voir le corps, on les tient éloignés du cimetière. Comme s'ils ne faisaient pas partie de la famille. Comme s'ils n'étaient pas eux aussi en deuil !

Dans les conditions de confinement que nous vivons, les enfants restent exclus des rituels, par la force des choses. Il faudra leur expliquer la situation et les causes de la mort de leur proche, d'une manière adaptée à leur âge.

Et il faudra être attentif à tous leurs comportements pour déceler si quelque chose n'évolue pas bien.

Les personnes âgées

Une autre catégorie de personnes est particulièrement en danger, ce sont les personnes âgées. La perte d'un conjoint plonge la personne âgée dans une solitude aggravée par le confinement, avec tous les risques de ne plus prendre soin d'elle, d'arrêter un traitement nécessaire pour sa santé, de ne plus se faire à manger, de se laisser mourir.

Les soignants

Je voudrais aussi dire un mot sur le deuil des soignants, qui sont en première ligne et qui voient mourir de nombreuses personnes, par exemple dans les services de réanimation ou les Ehpad où le coronavirus fait de nombreuses victimes.

Face à ces décès qui se multiplient, les soignants se sentent impuissants voire coupables de ne pas avoir pu les empêcher. Ils assistent impuissants à l'enlèvement des corps. Ils n'ont parfois même pas le temps de prévenir les familles.

Personne n'est avec eux pour pouvoir parler de ce qu'ils vivent et de ce qu'ils ressentent. Ils n'ont pas le temps de récupérer, de souffler un peu. Souvent ils ne se sentent pas reconnus dans leur souffrance.

Le burnout peut surgir, tout comme le stress post-traumatique.

Que faire pour éviter le pire ? ​

Les obsèques autrement

En ce qui concerne les obsèques, on peut envisager de faire participer les proches et les amis d'une manière virtuelle, à distance, en utilisant les moyens techniques facilement accessibles comme WhatsApp, Skype ou Zoom. Il suffira qu'une personne soit volontaire pour filmer la cérémonie. Certains services funéraires le proposent déjà.

Les lectures, les chants qui d'habitude ont lieu à l'intérieur d'un édifice religieux, ou au crématorium ou dans un autre lieu laïque peuvent avoir lieu de manière virtuelle, chacun chez soi, mais tous ensemble. Il suffit d'un smartphone, d'une tablette ou d'un ordinateur.

A défaut d'un repas, une réunion peut avoir lieu par les mêmes moyens pour partager un verre ou une collation, en souvenir de la personne décédée.

D'autres rituels peuvent être imaginés, par exemple se retrouver au même moment, connectés, et parler du défunt ou rester en silence en faisant brûler une bougie.

Comment favoriser le processus de deuil ?

Au-delà des obsèques, que faire pour favoriser le processus de deuil ? Quand on perd un proche, on a besoin de raconter ce qui s'est passé. Et de nombreuses fois. Durant le confinement, à défaut de le faire de vive voix, on peut envisager de faire ce récit par téléphone ou par visioconférence. Malheureusement, beaucoup de personnes ne le feront pas car elles vont se sentir très mal à l'aise dans cette situation inhabituelle.

Comment alterner des moments consacrés à la peine, aux larmes, à l'isolement, et les moments de détente et de distraction ? Autorisez-vous à aller pleurer dans une chambre pendant une demi-heure puis engagez-vous dans une activité plaisante, seul ou avec votre conjoint et vos enfants, que ce soit un jeu de société, regarder un film drôle, apprendre à faire la cuisine ou à tricoter, que sais-je !

Que dire aux enfants 

Pour revenir aux enfants, il est indispensable de leur expliquer ce qui se passe, de leur parler de la mort avec des mots qu'ils peuvent comprendre.

Et ne comparez pas la mort à un voyage ou un sommeil ! Il faut absolument rassurer les enfants, qui croient souvent que la mort est contagieuse en elle-même. Évidemment, dans le cas du coronavirus, ils ont en partie raison !

Mais il faut leur expliquer qu'ils ne risquent rien et que vous faites tout ce qu'il faut pour vous protéger, et les protéger.

Se faire aider

Enfin, il faut parfois accepter de demander de l'aide. N'hésitez pas à faire appel aux téléconsultations, de plus en plus proposées par les médecins, les psychiatres et les psychologues, pour aborder votre état de santé, équilibrer votre traitement ou parler de votre souffrance et de vos peurs.

Quand nous pourrons de nouveau nous réunir

Et quand le confinement sera levé, d'autres rituels pourront avoir lieu.

Par exemple organiser une messe ou une cérémonie, aller se recueillir devant la tombe, le columbarium ou à l'endroit où les cendres ont été répandues, et bien d'autres encore.


Voilà, j'espère que ces quelques informations vous seront utiles.

Profitez de cette période de confinement pour faire des choses nouvelles et prenez soin de vous et de vos proches.

A bientôt pour une autre vidéo !​​

    Francois Louboff

  • Danièle Mokbel dit :

    Tout à fait .Merci de nous partager cette réalité tellement d actualité .

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