La procrastination, vous connaissez ?

Aujourd'hui je vous parle d'un sujet qui sort un peu de mes thèmes habituels. La procrastination.

J'ai lu que la procrastination touchait environ 25 % des américains. J'imagine que la proportion doit être équivalente chez nous.

Je voulais faire cette vidéo le 25 mars, journée de la procrastination, mais voilà, je le fais le 1 mai, fête du travail. Allez y comprendre quelque chose !

Bon, vous savez tous ce que ça veut dire : remettre au lendemain ce qu'on pourrait faire le jour même.

Mais les choses sont plus compliquées et plus intéressantes que ne le dit cette simple définition.

Étymologie de procrastination

Commençons par un peu d'étymologie. Procrastination vient du mot latin procrastinatio qui signifie ajournement.

La procrastination est une forme d'acrasie. L'acrasie vient du grec et signifie "absence de pouvoir".

Ça veut dire que notre raison et notre volonté perdent leur pouvoir et nous nous mettons à faire quelque chose qui va à l'encontre de notre meilleur jugement et donc de notre intérêt futur. Un exemple ? Fumer, ou regarder une série au lieu de nous mettre à un travail important et urgent.

Procrastiner, ce n'est donc pas simplement repousser au lendemain ce qu'on peut faire le jour même. C'est repousser volontairement une action, en sachant très bien qu'on s'expose à des conséquences fâcheuses.

Maladie ou pas ?

On dit souvent que procrastiner nous permet d'obtenir un plaisir immédiat et de fuir un sentiment d'inconfort. Il est bien démontré que notre cerveau préfère le plaisir immédiat à un plaisir différé.

Mais ce plaisir immédiat peut être trouvé aussi bien dans quelque chose de futile, comme regarder ses notifications sur son smartphone, que dans une action importante ou utile. Car tous les procrastinateurs ne sont pas des fainéants !

Une question intéressante c'est bien entendu de se demander pour quelles raisons on ressent un malêtre, un inconfort lorsque nous avons telle tâche à faire. Car nous ne procrastinons pas tous pour les mêmes actions !

Parfois il peut être utile de réfléchir sur notre histoire, nos modèles familiaux, nos expériences traumatiques ou douloureuses.

On pourrait aussi se demander si la procrastination ne serait pas induite par la société, car certaines expressions courantes nous encouragent presque à procrastiner : "Un tiens vaut mieux que deux tu l'auras" ou "Mieux vaut tenir que courir".

Alors, procrastiner, est-ce une maladie, un trouble de la personnalité, une mauvaise habitude, un manque de motivation, un schéma parental ou un simple défaut ?

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J'ai cherché dans le DSM 5, le manuel des troubles mentaux, si la procrastination y figurait. Elle n'apparait qu'une seule fois, non comme une maladie mais comme symptôme possible de la thésaurisation pathologique, qui définit la difficulté persistante à jeter ou à se séparer de certains objets.

Je l'ai retrouvée aussi dans un dictionnaire de psychologie comme manifestation possible de la personnalité passive-agressive. Ce sont des gens qui s'opposent passivement, d'une manière détournée, silencieuse, sans heurts ni hostilité manifeste.

Donc, pas une maladie ni un trouble de la personnalité. Beaucoup d'études et de recherches ont été faites sur la procrastination. Elle n'est pas liée au degré d'intelligence ni à la dépression par exemple. Contrairement à ce qu'on a pu croire, elle n'est pas liée non plus au perfectionnisme. Ce serait même l'inverse. On a aussi évoqué la peur de l'échec comme la peur du succès.

Bref, rien de très clair !

Par contre des chercheurs chinois ont trouvé sur les images cérébrales obtenues par résonnance magnétique que les cerveaux des procrastinateurs avaient des particularités. Leur cortex préfrontal antérieur fonctionne moins bien. Or c'est lui qui nous permet de planifier, d'anticiper et de rester focalisé sur une tâche.

Ça pourrait vous servir d'excuse : c'est pas moi, c'est mon cerveau ! Ça pourrait aussi expliquer en partie pourquoi c'est si difficile de modifier cette fâcheuse habitude.

En tout cas, plus on procrastine, plus on procrastine. C'est le cercle infernal de la procrastination. En regardant les messages de mes amis sur mon smartphone au lieu d'ouvrir mon courrier, je reçois une satisfaction immédiate, une récompense. Il est fort probable que je referai la même chose dès que j'aurai du courrier à ouvrir.

Les excuses

Souvent, les gens qui procrastinent essayent de se dédouaner en faisant appel à des excuses qui sont toutes aussi fumeuses les unes que les autres. Voyons-en quelques-unes :

Je n'ai pas assez de temps pour le faire maintenant, je le ferai dès que j'aurai fini ce que je suis en train de faire, c'est trop difficile pour que je le fasse maintenant, c'est trop important et je ne suis pas assez concentré pour m'y mettre, ce n'est pas important et ça peut attendre, je suis trop fatigué, trop stressé, trop triste, trop en colère pour m'y mettre.

Vous voyez, les excuses ne manquent pas. Mais espérer que demain on sera plus concentré, plus en forme, plus joyeux ou qu'on aura plus de temps est une illusion. La tâche qu'on repousse sera tout aussi difficile, importante ou pas importante et on aura probablement commencé une autre chose.

Donc demain sera comme aujourd'hui et je repousserai encore d'un jour !

Les conséquences

On pourrait parfois en rire, mais en fait, c'est un comportement qui peut coûter très cher. Voyons les conséquences qui vous attendent si vous continuez à procrastiner !

Sur la santé

Vous risquez d'avoir une moins bonne santé pour au moins trois raisons.

Premièrement, procrastiner augmente l'angoisse et le stress. Or on sait qu'un niveau trop élevé de stress rend notre système immunitaire moins efficace.

Deuxièmement, en repoussant des rendez-vous ou des examens médicaux, certaines maladies risquent d'être dépistées trop tardivement. Et en remettant à plus tard certains comportements bénéfiques, comme faire de l'exercice, changer votre alimentation ou votre rythme de sommeil, vous mettez aussi votre santé en danger.

Troisièmement, vous essaierez de lutter contre toutes les émotions pénibles qui accompagnent parfois la procrastination, comme l'angoisse, la honte ou la culpabilité. Vous chercherez à fuir votre sentiment de dévalorisation ou simplement ce que vous avez à faire. Vous risquez alors de trop boire, trop fumer ou prendre trop de drogues diverses. Vous obtiendrez certes une gratification immédiate mais au risque d'autres conséquences très négatives.

Sur la réussite scolaire et professionnelle

On sait aussi que les procrastinateurs réussissent moins bien, que ce soit dans les études ou dans le milieu professionnel. Procrastiner vous empêche de réaliser des travaux à la hauteur de vos compétences et donc de réaliser tout votre potentiel.

Vous risquez d'être envahi par une totale désorganisation qui se traduira par une liste énorme de choses à faire sans avoir le temps d'en faire une seule.

Au total, vous risquez tout simplement d'être moins heureux, moins satisfait de votre vie, de moins bien réussir professionnellement, mais aussi dans vos relations.

Bref, vous avez gagné le tiercé : Moins performants, plus stressés et en moins bonne santé !

Procrastiner a-t-il des effets bénéfiques ?

On vient de voir les conséquences négatives de la procrastination. Mais existerait-il des bénéfices à être procrastinateur ? Pour répondre avec un peu d'humour à cette question, voyons deux réponses :

Pour Henry de Montherlant, "Il faut toujours tout remettre au lendemain. Les trois-quarts des choses s'arrangent d'elles-mêmes" (Le cardinal d'Espagne (Jeanne La Folle).

Pour d'autres, le secret de la longévité serait "une longue habitude de toujours remettre au lendemain" (Albert Brie Le mot du silencieux, p 36, Fides).

Plus sérieusement, certaines personnes assurent qu'elles travaillent beaucoup mieux sous la pression des délais courts, que ça augmente leur motivation. Mais elles sont vraiment très rares.

Il faut donc se rendre à l'évidence. Il n'y a pas de bénéfice à procrastiner.

Théories de la procrastination

Plusieurs théories ont essayé d'expliquer cette mauvaise habitude. Une seule semble digne d'intérêt, les autres n'ayant pas été confirmées par les différentes recherches. Elle a un joli nom : théorie de la motivation temporelle.

Et elle s'exprime sous la forme d'une équation. Non ne fuyez pas, c'est assez simple.

Motivation = Espérance X Valeur / Impulsivité X Délai

La motivation, c'est ma préférence pour une action. Plus la motivation est élevée, moins je procrastine et plus vite je me mets au travail. Mais si ma motivation diminue, je risque de procrastiner.

Voyons ce que représentent ces quatre mots.

L'espérance, c'est la probabilité que je me donne de réussir la tâche. Elle dépend donc de la confiance que j'ai en mes capacités, en mon efficacité personnelle.
La Valeur, c'est la gratification que j'attends si je concrétise la tâche. C'est la valeur que je donne au résultat de l'action.
Si l'un de ces deux facteurs, ou les deux augmentent, ma motivation augmente, mais si l'un ou les deux diminuent, ma motivation diminue aussi.

L'Impulsivité signifie en fait distractibilité. Si je ne suis pas capable d'ignorer les distractions et de retarder une récompense, l'impulsivité augmente. Elle mesure mon manque de contrôle de soi.
Le Délai c'est le temps nécessaire pour arriver au bout de la tâche.
Si 'impulsivité ou le délai ou les deux augmentent, la motivation diminue. Mais si l'impulsivité ou le délai ou les deux sont faibles, ma motivation augmente.

La motivation, et donc le risque de procrastination, est le résultat de l'influence de ces 4 facteurs.

Certains disent que la motivation vient avec le travail et non avant. L'équation montre qu'elle existe avant de commencer une tâche et qu'elle augmente pendant la réalisation de cette tâche. Simple à comprendre puisque en progressant, on augmente l'Espérance et on diminue le Délai. CQFD !

Amusez-vous à éclairer vos projets avec cette équation pour déterminer votre motivation et votre risque de procrastination.

Solutions

Cette théorie est intéressante car elle contient aussi les moyens pour améliorer sa motivation et donc réduire le risque de repousser ce qu'on a à faire.

Il suffit d'augmenter l'espérance et/ou la valeur, et de diminuer l'Impulsivité et/ou le délai.

Je vous laisse réfléchir aux solutions possibles pour modifier ces quatre facteurs. Il faut bien que vous ayez quelque chose à faire.

En conclusion

Il y a une abondante littérature sur ce sujet, notamment des tonnes de livres et d'articles qui donnent des recettes pour arrêter de procrastiner. Vous pourriez toujours les lire pour éviter de vous mettre au travail.

Je voudrais simplement insister sur trois points.

Si une tâche vous parait trop importante, prenez l'habitude de la décomposer en tâches plus petites. Avec des délais plus courts.

Gardez à l'esprit la philosophie du Kaizen, qui nus apprend à avancer à petits pas. Si vous voulez faire 100 kilomètres à pied, il faut commencer par un premier pas. C'est la somme de tous les petits pas qui vous mèneront où vous souhaitez aller.

Enfin, vous y arriverez d'autant plus facilement que vous trouverez du plaisir dans l'effort lui-même et pas seulement dans le résultat. C'est en étant totalement absorbé dans ce que vous faites, concentré, engagé que vous attendrez l'expérience optimale, ou en anglais, le flow. C'est en aimant l'effort que vous pourrez vous développer et grandir.

Encore un mot, pour vous rassurer. La procrastination diminue quand on vieillit.

Alors Patience !

A bientôt pour une autre vidéo

Bibliographie

La procrastination, John Perry, 2012, Éditions Autrement

Neuroplasticity A Cognitive Behavioral Approach to Anxiety and Procrastination. 2 Manuscripts  Cognitive Behavioral Therapy, How to Stop Procrastinating - Antonio Matteo Bruscella, 2019

    Francois Louboff

  • Bernadette Résimont dit :

    Bonjour, j’apprécie beaucoup votre article et je retrouve bien mes « manies » en effet, je dois rédiger un mémoire depuis trois ans au moins, rien n’y fait, analyse, supervision de groupe…je veux écrire ce mémoire qui me donnera une certification pour « nommer » mon travail que j’effectue depuis de longues années, sans m’en pré-occuper, ce certificat est un certificat d’art-thérapeute j’ai 63 ans, j’ai « raté » tous mes concours, je suis comédienne de formation, j’ai effectué beaucoup d’autres formations,sans jamais rendre de mémoire et toujours dans l’objectif de trouver et d’améliorer mes interventions auprès de publics fragiles, entre autres, voyant que l’apport de l’apprentissage de l’art dramatique délivre les personnes…voyez-vous comme ce mémoire est important pour moi, je fais aussi de la mise en scène, travaille avec un outils que je peaufine qui est « la distanciation ». Auriez-vous un petit conseil?
    merci
    Bernadette

  • daniel dit :

    Bonjour
    Je ne remets pas à demain, le commentaire que je peux faire aujourd’hui…
    Article clair et convaincant…je suis cerné, je me suis retrouvé dans votre propos, au point que je vais regarder pousser mes tomates. Elles ne remettent jamais à demain, croissance, feuilles, fleurs nouvelles et fruits naissants. Les leçons de la nature sont infinies; me reste à les retenir et les appliquer. De vous avoir lu va m’y aider. Merci.
    D Palmesani (tout juste abonné)

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