L’autorégulation après la rupture d’un lien d’attachement
Nous avons vu dans les vidéos précédentes que lorsque nous sommes attachés à une personne qui nous est chère, un processus de corégulation physiologique se met en place qui nous permet de nous sentir en sécurité.
Mais si notre figure d'attachement disparait, si elle n'est plus là pour soulager notre détresse et nous apporter du plaisir, la corégulation disparait.
Notre équilibre homéostasique est rompu et s’installe alors un processus de dérégulation.
Comment allons-nous retrouver notre sentiment de sécurité indispensable pour une vie saine ?
Il va nous falloir trouver d’autres moyens pour nous réorganiser.
L'autorégulation
Maintenant que je suis privé de ma figure d’attachement, de mon partenaire amoureux par exemple, il n’y a plus de corégulation.
Je dois retrouver mon équilibre physiologique autrement et me débrouiller sans lui. C’est ce qu’on appelle l’autorégulation.
Elle est différente puisqu’elle nous permet de réguler notre propre équilibre, alors qu’il était régulé, avant la séparation, par la relation d'attachement.
Alors comment font les gens pour affronter la disparition de la corégulation ?
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Pourquoi certaines personnes vont très mal à la suite d'une expérience de perte alors que d'autres retrouvent rapidement leur niveau normal de fonctionnement ?
Plusieurs stratégies ont montré leur utilité à la suite de pertes. Et elles fonctionnent plutôt bien puisque la plupart des enfants et des adultes s’adaptent à la perte sans être immobilisés dans des états de deuil pathologique.
Bien sûr, penser à la relation telle qu’elle était avant la perte peut nous aider à moins souffrir. Mais c’est une stratégie à court terme et il est indispensable d’en développer de nouvelles pour restaurer notre sentiment de sécurité.
Si je me retrouve privé de ma figure d’attachement, je peux adopter trois types de stratégies pour atténuer les conséquences physiologiques de cette rupture.
On va distinguer les stratégies cognitives, c’est-à-dire liées à notre manière de penser, les stratégies comportementales, associées à nos actions, et les stratégies émotionnelles.
Les stratégies cognitives
Commençons par les stratégies cognitives. Comment les personnes confrontées à des événements de vie difficiles pensent, comprennent et évaluent leurs expériences perturbantes ?
Rappelez-vous ce que disait le philosophe Epictète il y a environ 2000 ans : ce qui trouble les hommes, ce ne sont pas les choses, mais les opinions qu'ils en ont.
Shakespeare dit la même chose quand il écrit : rien n'est bon ni mauvais en soi, tout dépend de ce que l'on en pense.
C’est ce point de vue qui est à l’origine des thérapies cognitives qui nous aident à réévaluer la situation dans laquelle nous sommes et nos capacités d’y faire face.
Par exemple, une perte ou une séparation peut nous paraître au début terriblement menaçante, provoquant de nombreuses peurs : peur d’être seul, peur de ne pas pouvoir nous adapter, peur de rester malheureux tout le reste de notre vie…
Mais si on arrive à considérer que cette séparation n’est pas aussi menaçante, que nous allons y survivre, et que nous avons des ressources pour nous y adapter, ça va nous aider à reprendre un peu plus de contrôle et à nous sentir de nouveau en sécurité. C’est une réévaluation cognitive. D’autres appellent cette réévaluation un recadrage. C’est l’art de passer du verre à moitié vide au verre à moitié plein !
Une manière d’y arriver c’est de donner du sens à ce que l’on vit. Si je perds une figure d’attachement, je peux essayer de chercher un sens à cette perte et de retrouver un peu de cohérence. Cette recherche peut m’apporter un plus grand sentiment de paix intérieure et de calme. Et même si ma quête de sens n’aboutit pas, le seul fait de chercher a un effet bénéfique !
Un autre moyen de faire face, c’est de construire et d’écrire un récit cohérent et organisé de ce que nous vivons de douloureux. Ce récit aura des effets bénéfiques car il nous permet de mieux intégrer nos pensées et nos sentiments dans notre histoire de vie.
On sait que les états psychologiques négatifs, comme la rumination et la culpabilité, ont des effets néfastes sur notre immunité. Arriver à changer notre état cognitif négatif est donc un objectif important !
Les stratégies comportementales
A côté des stratégies cognitives, c’est-à-dire liées à notre manière de penser, il y a d’autres stratégies qui utilisent nos comportements.
On peut ainsi retrouver plus de sécurité en cherchant du soutien chez les autres. Le support social nous aide à nous sentir plus calme, plus en sécurité, à retrouver un équilibre homéostasique. Il favorise l'auto-régulation.
Des études ont montré qu’après la mort d’un partenaire ou après un divorce, les gens allaient d’autant mieux qu’ils cherchaient un soutien social ou de de nouvelles relations amoureuses.
Pourquoi ces relations sociales de soutien sont-elles si bénéfiques ?
Et bien elles nous redonnent l’impression d’avoir du contrôle sur des événements apparemment incontrôlables.
Et les femmes sont avantagées car face au stress, elles recherchent plus facilement un soutien social que les hommes. Vous vous souvenez de l’ocytocine, cette molécule qui favorise le lien social ou affectif. Et bien, chez les femmes, leurs œstrogènes augmentent les effets de l’ocytocine. Plus d’ocytocine, donc plus de lien, donc plus de sécurité et d’équilibre !
Les hommes eux, vont être avantagés quand il s’agit de trouver des solutions et résoudre des problèmes. Ces stratégies centrées sur les problèmes sont parfois plus aidantes pour faire face à leur perte. Les hommes confrontés à un deuil ayant plus souvent ce qu’on a appelé un style instrumental, ils sont plus à l’aise pour agir et trouver des solutions aux problèmes concrets.
Les rituels sont aussi des comportements utiles face à un deuil. Non seulement ils facilitent le lien social, mais ils nous aident à ressentir, exprimer et partager nos émotions d’une manière plus symbolique, sans avoir forcément besoin de mots.
Les stratégies émotionnelles
Les femmes confrontées à un deuil ont plus souvent un style qu’on a appelé intuitif et qui se traduit par une plus grande expression émotionnelle. Elles pleurent et parlent de ce qu’elles ressentent plus facilement que les hommes.
Certaines personnes vont ainsi favoriser des stratégies centrées sur l'émotion, et non plus sur le problème, car ressentir et exprimer leurs émotions leur permet de mieux faire face. Et dans notre société, les femmes y sont plus souvent mieux préparées que les hommes.
Dans toutes ces stratégies, qu’elles soient cognitives, comportementales ou émotionnelles, certaines vont se traduire par une confrontation à la perte et aux sentiments douloureux, et d’autres par l’évitement, le détachement de ces sentiments douloureux. Le mieux pour s’adapter à la perte c’est d’utiliser une combinaison de ces deux types de stratégies, de confrontation et d’évitement.
C’est d’ailleurs ce que conseille un des plus récents modèles du deuil, le Dual Process Model. Il montre que nous devons alterner des moments où nous pensons à la personne disparue, aux conséquences douloureuses de cette perte et où nous exprimons notre souffrance, et d’autres moments où nous pensons à autre chose, où nous fuyons les souvenirs en nous distrayant. Nous avons besoin des deux pour avancer.
Vous voyez que toutes ces stratégies d'autorégulation nous aident à sortir d’un sentiment d’impuissance. Elles nous redonnent un peu plus de maitrise et de cohérence face à la séparation douloureuse.
Toutes ces stratégies auront les mêmes conséquences biologiques positives. Le système nerveux sympathique sera moins stimulé et notre corps produira moins d’hormones de stress.
Elles seront donc positives, adaptatives si elles remplissent le même objectif : nous aider à retrouver notre sentiment de sécurité et calmer nos états de dérégulation biologique.
Conclusions
On sait maintenant que les relations d’attachement sont ce qu’il y a de plus efficace pour réguler biologiquement nos états émotionnels. Et c’est vrai tout au long de la vie, de la naissance à la mort !
Si nos liens d’attachement sont perturbés, notre sentiment de sécurité est menacé, et cette menace peut dérégler de manière importante nos systèmes biologiques qui nous apportent calme et bien-être. C’est pour ça que les expériences de pertes font partie des perturbateurs les plus puissants de notre vie.
Or nous faisons tous face de manière différente aux expériences de perte, car nos réponses biologiques seront différentes. Elles seront liées en particulier à notre style d’attachement. Par exemple, dans les premiers temps d’une séparation, les adultes qui ont un style d’attachement anxieux fabriqueront plus d’adrénaline et de cortisol, donc auront un niveau de stress plus élevé !
La conclusion principale, c’est qu’un des plus puissants régulateurs de notre fonctionnement biologique, c’est un autre membre de notre espèce auquel nous sommes attachés.
Et que face à une perte qui compromet gravement notre sentiment de sécurité et notre équilibre homéostasique, nous possédons de nombreuses ressources et stratégies d'autorégulation pour les restaurer, même si cela nous demande plus d’efforts !
A bientôt pour une autre vidéo !
Bibliographie
Coregulation, Dysregulation, Self-Regulation: An Integrative Analysis and Empirical Agenda for Understanding Adult Attachment, Separation, Loss, and Recovery, David A. Sbarra and Cindy Hazan, Pers Soc Psychol Rev 2008; 12; 141, DOI: 10.1177/1088868308315702. http://psr.sagepub.com/cgi/content/abstract/12/2/141
Merci François de ce très bon article. Certaines personnes peuvent également retrouver leur équilibre en remplissant leur vie soit par le travail soit par le bénévolat soit par des activités de loisirs qui leur plaisent.
Merci Claire pour votre commentaire. Oui, bien entendu. L’article n’avait pas pour vocation de lister tous les comportements ni les thérapies cognitives ou émotionnelles utiles. Simplement de dessiner un cadre général. Heureusement, les ressources sont infinies !