Comment réduire le risque de revictimisation
Les stratégies pour réduire le risque de revictimisation
Nous avons vu dans les deux précédents articles comment les facteurs personnels, les facteurs liés aux environnements familial et socio-professionnel et les facteurs culturels interagissent pour augmenter le risque de revictimisation chez les victimes de violences sexuelles.
Comprendre pourquoi ce risque est plus élevé, c’est bien. Mais comment les victimes peuvent-elles s’en protéger ?
Trois théories pour se protéger
Nous allons décrire trois théories qui permettent de faire des propositions concrètes pour réduire la revictimisation : les théories adaptative, proactive et défensive[1].
Rappelons quelques chiffres, variables bien entendu selon les études : 12 à 53 % des filles sont victimes d’abus sexuels dans l’enfance. 18 % de toutes les femmes subiront un viol ou une tentative de viol par leur partenaire. 35 étudiantes des universités américaines sur 1000 seront victimes d’une tentative ou d’une agression sexuelle.
Connaissant le risque élevé de revictimisation qui pèse sur les femmes victimes au moins une fois dans leur vie de violence sexuelle, il est important de développer des mesures permettant de le réduire.
Les femmes victimes d’abus sexuels dans l’enfance ont par exemple 2 à 3 fois plus de risque d’être revictimisées que les femmes n’ayant pas subi de telles agressions.
La violence influence la santé mentale et physique des femmes, mais également leur carrière, leurs relations amicales, familiales et sociales.
La revictimisation sexuelle majore les problèmes de santé tant mentale (troubles dépressifs, syndrome de stress post-traumatique, troubles dissociatifs, comportements suicidaires) que physique.
Comment réduire ce risque de revictimisation ?
Connaitre les facteurs de protection et les facteurs de vulnérabilité est indispensable. Les théories de « coping » (ou stratégies d’ajustement en français) nous le permettent.
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Qu’est-ce que le « coping » ?
« Le coping désigne l'ensemble des processus qu'un individu interpose entre lui et l'événement perçu comme menaçant, pour maîtriser, tolérer ou diminuer l'impact de celui-ci sur son bien-être physique et psychologique »[2].
Le coping est la capacité de faire face et de s’adapter à des situations difficiles.
On distingue deux types de coping : le coping « vigilant » et le coping
« évitant ». Le premier utilise des stratégies actives (recherche d'information, de soutien social, résolution de problème) et le second des stratégies passives (évitement, fuite, déni, fatalisme).
Le coping cherche donc à changer soit la situation réellement menaçante, soit l’appréciation subjective que le sujet s'en fait, donc les sentiments négatifs associés.
Tant le coping « évitant » que le coping « vigilant » chercheront à agir sur les émotions (tentatives de régulation émotionnelle) et sur les comportements (tentatives de résolution de problème).
Nous allons explorer trois théories de coping, complémentaires, qui permettront aux victimes d’apprendre des nouveaux comportements pour réduire le risque de revictimisation.
Le « coping » adaptatif
Lorsqu’un être humain fait face à un événement menaçant, il doit pour s’y adapter au mieux, réfléchir, gérer son état émotionnel et avoir un comportement approprié.
Il doit donc :
- trouver une signification à cet événement, lui donner un sens
- retrouver une certaine maitrise sur l’événement et sur sa vie
- se sentir bien à nouveau
Comment savoir que le « coping » adaptatif a réussi ?
Les réactions physiologiques et la détresse psychologique diminuent, un fonctionnement quotidien et social normal reviennent accompagnés d’un sentiment de bien-être personnel, d’une bonne estime de soi et d’un sentiment d’efficacité personnelle (la croyance qu’a la personne d’être capable de contrôler les événements).
Quelles sont ces stratégies adaptatives ?
Les principales sont la résolution de problèmes, la recherche de soutien et d’information et la récupération d’un sentiment de maitrise sur les événements de la vie et d’efficacité personnelle.
Elles sont plus efficaces que des stratégies de « coping » d’évitement qui permettent plutôt de fuir, consciemment ou non, le souvenir de l’agression : le déni, le désengagement ou l’abus de substances (alcool, drogues…) par exemple.
Une réévaluation positive (j’en suis sortie vivante, je peux en tirer un enseignement par exemple) et l’acceptation seraient aussi des stratégies utiles et adaptatives.
Les femmes les plus aptes à réduire le risque de revictimisation sont celles qui développent après l’agression sexuelle un sentiment d’efficacité personnelle et de maitrise.
Ces stratégies adaptatives protègent ces femmes des problèmes de santé mentale, comme l’abus de substances, et de la revictimisation.
A l’inverse, les stratégies d’évitement sont fortement associées à la détresse et aux problèmes de santé physiques ou mentaux.
Mais les victimes n’y ont pas souvent recours
Malheureusement, comparées aux victimes d’autres événements traumatiques, les victimes d’agressions sexuelles ont plus souvent recours à des stratégies non adaptatives (évitement des problèmes, retrait social, critique de soi, culpabilisation) qu’à des stratégies adaptatives (résolution de problèmes, restructuration cognitive, support social).
Pour comprendre cette différence, la théorie dite de la Mobilisation-Minimisation a apporté une explication.
Pour faire face à une agression ou à une menace, la victime doit mobiliser rapidement ses ressources personnelles (les réactions de son corps, ses pensées, ses émotions, ses comportements) et ses ressources sociales, interpersonnelles.
Mais lorsque l’agression est terminée et que la menace a disparu, l’organisme se protège en essayant d’en réduire les conséquences. La passivité et le déni par exemple permettent de réduire ou d’effacer l’impact de l’agression.
Ce schéma de mobilisation-minimisation est plus marqué pour les événements négatifs que pour les événements positifs ou neutres.
On comprend ainsi mieux pourquoi une victime ne recherche pas de soutien extérieur, et refuse de penser à l’agression ou d’en parler.
Bien que ce travail d’adaptation, après la survenue de l’agression, soit primordial pour les victimes, d’autres approches sont nécessaires pour prévenir la revictimisation.
Coping proactif
Le coping adaptatif insiste sur la manière de surmonter un événement traumatique alors que le coping proactif insiste sur les préparations nécessaires pour l'éviter et se défendre contre de futures menaces.
Le coping proactif désigne donc les efforts entrepris avant la survenue d’un événement potentiellement stressant, soir pour en empêcher la survenue soit pour le modifier.
Il comprend cinq stratégies successives :
- Construire des ressources personnelles et interpersonnelles pour pouvoir répondre aux menaces.
- Apprendre à scruter l’environnement pour reconnaitre les menaces potentielles
- Apprécier ces menaces potentielles : quelles est la situation ? comment cette menace peut-elle changer ?
- Faire des efforts de coping
- Evaluer enfin les résultats de ces efforts (que s’est-il passé ? qu’ai-je appris à propos de cette menace ?)
Le coping proactif est particulièrement utile pour les survivants d’agressions sexuelles car ses stratégies les aident à gérer de nombreuses situations stressantes et à utiliser différentes compétences.
Construire des ressources personnelles et interpersonnelles
Les femmes doivent s’informer sur les agressions sexuelles, les sources possibles des menaces, les signaux d’un danger possible, les situations et personnes qu’il est préférable d’éviter, les manières de répondre les plus efficaces.
Ces informations pourraient être délivrées lors de sessions d’entrainement de gestion des agressions sexuelles et de construction de compétences.
Par exemple, les femmes doivent apprendre que bien que les agressions sexuelles soient parfois le fait d’étrangers, elles sont le plus souvent perpétrées par des intimes, des amis, des connaissances, auxquels les femmes font confiance ou qu’elles aiment.
Les survivantes doivent aussi construire des ressources et des supports extérieurs, tels des réseaux amicaux et savoir vers qui se tourner pour obtenir de l’aide et du soutien.
Apprendre à scruter l’environnement
Pour identifier et discerner les menaces d’agression, les participantes peuvent s’entrainer à la pleine conscience.
Celle-ci consiste à porter une attention délibérée aux situations et circonstances à risque, même à celles qui semblent au départ dénuées de danger.
Reconnaitre les menaces potentielles
Les femmes doivent apprendre à reconnaitre certaines situations comme à risque : des rendez-vous où l’alcool ou la consommation de substance est très présente, des amis qui essaient de les isoler du groupe lors d’une situation sociale, des personnes intimes réclamant un compte rendu détaillé de leurs faits et gestes.
Les efforts de coping
Les femmes doivent ensuite apprendre à éviter, à s’extraire ou à gérer une situation qui leur apparait comme dangereuse.
C’est ce qu’on appelle les efforts de coping : évitement (quitter la soirée plus tôt, refuser un rendez-vous avec un homme suscitant un sentiment de malaise), désengagement (mettre fin à un rendez-vous si la femme se sent mal à l’aise, quitter un homme suspect pour rejoindre ses amis), et gestion de la situation (refuser de consommer encore plus d’alcool, chercher l’aide d’un ami de confiance).
Mais les femmes peuvent craindre la manière dont les autres pourraient alors les voir : si je quitte la soirée plus tôt mes amies vont mal me considérer, si je refuse cette boisson cet homme pensera que je suis mal élevée...
D’où l’importance des jeux de rôle et des vidéos montrant d’autres personnes en situation afin de développer ces diverses compétences.
Evaluer les résultats de ces efforts
Les femmes doivent être encouragées à réfléchir et à évaluer leurs efforts préliminaires.
Quitter la soirée plus tôt a-t-il permis d’éviter une situation dangereuse ? Avoir un premier rendez-vous dans un endroit public a-t-il aidé à évaluer le caractère sécurisant du partenaire, ou la possibilité d’une relation sentimentale ?
La femme vit-elle le type d’expérience sociale et interpersonnelle qu’elle désire ? Est-elle à l’aise dans ces situations ? Y prend-elle plaisir ? Se sent elle capable de les gérer et de s’engager dans des activités, sexuelles ou autres tout en se sentant à l’aise ?
Des inconvénients
Mais cette stratégie de coping proactif a aussi des inconvénients.
Rester sur ses gardes tout le temps en scrutant l’environnement à la recherche de menaces potentielles peut être épuisant.
Certaines femmes peuvent être moins aptes à s’engager dans de telles stratégies, notamment celles ayant moins de temps, moins d’atouts socio-économiques, moins d’énergie personnelle.
D’où l’importance d’associer ce type de coping avec le coping résistant et défensif.
Coping résistant et défensif
Contrairement au coping adaptatif et proactif, qui sont des efforts sur le long-terme, le coping résistant-défensif ne se produira que lors d’une agression que la femme ne peut pas éviter.
Les réactions d’une femme victime d’une agression sexuelle peuvent agir sur le comportement de l’agresseur et la protéger.
En particulier, les femmes qui se battent ou crient pour résister physiquement à une agression sexuelle ont plus de chances de pouvoir s'échapper et subissent donc moins d'abus sexuels.
Le modèle AAA
Un modèle de prévention a été développé, le modèle AAA (Assess, Acknowledge, Act ; évaluation, reconnaissance, action).
Son utilisation permet aux femmes de résister et de se défendre contre la violence sexuelle. Il permet d’évaluer la violence sexuelle potentielle et les ressources personnelles et situationnelles, de reconnaitre la menace et de déterminer les stratégies de résistance.
Ce modèle va au-delà de l’appréciation et de l’évitement car il permet aux femmes de se préparer activement à se défendre en cas de besoin.
Avoir été victime réduit la capacité de se protéger
Les interventions de prévention peuvent ne pas être aussi efficaces avec les femmes ayant une histoire d’agression sexuelle qu’avec celles sans antécédents d’agression.
Les études montrent que les femmes victimes d’agressions sexuelles ont plus souvent recours à des formes de résistance plus « diplomatiques » (négocier avec l’agresseur) lors de l’agression sexuelle.
Mais lors d’agressions sexuelles ultérieures, elles sont plus souvent incapables de se défendre en raison d’un état de sidération ou d’une peur d’être blessée, ce qui réduit leur capacité d’autoprotection.
Les femmes ayant déjà subi une agression sexuelle auraient théoriquement des atouts pour mieux se protéger.
Elles peuvent mieux discerner les menaces d’agressions venant d’agresseurs connus. Et elles ont des réactions plus fortes de mal-être face à certains signaux de danger (un homme faisant des commentaires humiliants sur les femmes, proposant de l’alcool, essayant de l’isoler des autres) que les femmes sans antécédent d’agression.
Malheureusement, la victimisation passée diminue la capacité globale de protection, que celle-ci soit cognitive, affective et comportementale.
Intégrer ces trois théories de coping
Ces trois théories de coping peuvent aider à construire des stratégies d’adaptation pour aider les victimes à mieux se défendre et résister en cas d’agression sexuelle ultérieure. Et d’améliorer ainsi la prévention de la revictimisation.
La première étape doit s’intéresser aux comportements que la victime met en œuvre à la suite de l’agression pour moins en souffrir mais qui sont contre-productifs et dangereux.
Consommer de la drogue ou boire de l’alcool ne font qu’augmenter le risque de revictimisation. Il est important de l’aider à s’engager dans des activités plus adaptatives (coping « vigilant »).
La seconde étape lui permet de développer des connaissances et des compétences (pleine conscience, perception de la menace, décisions protectrices) pour lui permettre d’éviter de nouvelles agressions.
Enfin, apprendre à se défendre de manière plus efficace lui permettra de mieux faire face aux agresseurs qu’elle ne peut pas éviter.
Bien sûr, toutes les victimes n’auront pas les mêmes besoins.
Certaines femmes auront besoin de plus de temps pour développer les stratégies de coping adaptatif, alors que d’autres auront besoin de temps pour apprendre à se protéger et résister.
Les programmes de prévention devront donc être personnalisés.
Par exemple, plus l’agression sexuelle est récente et plus la vulnérabilité à la revictimisation est grande.
Les victimes d’agressions sexuelles récentes auront donc plus besoin d’un programme de prévention de la revictimisation mettant l’accent sur les coping adaptatif et proactif.
Par contre, si l’agression est ancienne, les victimes auront déjà géré les conséquences négatives de l’agression et auront probablement plus besoin de renforcer leurs capacités à se défendre.
Encore des questions non résolues
De nombreuses questions demeurent en ce qui concerne la revictimisation.
Par exemple, il n’y a pas d’études qui permettent de savoir si le phénomène de revictimisation varie chez les femmes selon la culture, l’origine ethnique, les capacités physiques, les handicaps ou les statuts socio-économiques.
Nous ne savons pas non plus pour quelles raisons certaines femmes semblent résilientes à l’expérience de revictimisation.
De nombreuses femmes ont probablement subi une violence sexuelle sans pour autant subir une revictimisation. En savoir plus sur ces femmes et leurs trajectoires résilientes peut permettre de développer des théories et des interventions en identifiant les atouts personnels et environnementaux protecteurs.
j’ai deux questions: Comment fait on quand on est dissociée dans ces moments là pour ce protéger ? et comment on sait qu’on à sus réduire le risque de revictimisation. ?
A propos du coping résistant et défensif, vous écrivez que « les réactions d’une femme victime d’agression sexuelle peuvent influencer le comportement de l’agresseur et la protéger. » Vous parlez des femmes qui crient et se battent, comme vous l’aviez fait dans l’article précédent, qui auraient plus de chance d’échapper à leur agresseur. C’est effectivement une bonne chose d’apprendre aux victimes à se battre et résister. Néanmoins certains agresseurs apprécient particulièrement la résistance de leur victime ; résistance qu’ils recherchent et qui les rend plus agressifs encore. Certaines victimes ont appris que se battre et crier ne les protégeait pas ; bien au contraire. Le coping vigilant peut-il les aider à repérer ce genre d’agresseurs ? La vigilance ne risque-t-elle pas néanmoins de se transformer en hypervigilance ? Vos explications et préconisations ne s’adressent-elles pas en fait plus particulièrement aux professionnels qui interviennent auprès de ces victimes ?
Merci Lydia pour vos remarques pertinentes. Les enfants victimes d’agressions sexuelles sont souvent dans l’incapacité de se défendre, et si elles tentent de le faire elles risquent fort d’échouer étant donnée la différence de force physique entre l’enfant et l’adulte. Mais parvenues à l’âge adulte, ce n’est plus le cas et les femmes ont la capacité de se défendre, ou d’apprendre à le faire. L’obstacle majeur reste la dissociation qui rend cette défense impossible. Ces informations ne sont pas réservées aux professionnels. Elles ont pour objectif de montrer aux victimes que le sentiment d’impuissance n’est pas une fatalité.
Beaucoup d’informations dans cet article concret. Des informations qui « pourraient être délivrées lors de sessions d’entraînement de gestion des agressions sexuelles et de construction de compétences », écrivez-vous. Où et comment ces sessions pourraient-elles être mises en œuvre selon vous ? Existent-elles déjà ?
La majorité des victimes revictimisées n’ont pas conscience de l’être. Afin d’être réellement préventives, ces sessions ne devraient-elles pas s’adresser aux enfants et adolescents ?
Merci Clément pour votre commentaire. Ces programmes se développent au Quebec, notamment en milieu scolaire (https://www.inspq.qc.ca/agression-sexuelle/strategies-individuelles-et-relationnelles). Je ne pense pas qu’ils existent en France. Il y a aussi des formations à l’auto-défense, toujours au Quebec (http://www.cpivas.com/prevention-sensibilisation.html). Beaucoup de travail à faire en France…
Merci beaucoup pour votre réponse et les liens qu’elle comporte. Au Québec nous connaissions le programme « feeling no, feeling yes » et sa chanson » mon corps c’est mon corps, ce n’est pas le tien… »; une chanson que tous les enfants et adultes devraient avoir en tête. Il existe des formations d’auto-défense réservées aux femmes depuis longtemps en France. Elles ne ciblent pas spécifiquement les victimes d’abus sexuels et sont bien souvent le fruit d’initiatives locales. Existe-t-il quelque chose comme un plan national contre les violences sexuelles en France ?