Le monde est-il juste ?

Le monde est-il juste ?

Très souvent, lorsque nous sommes confrontés à un événement douloureux, les premières paroles qui nous viennent sont : mais pourquoi ça tombe sur moi ? Qu'est-ce que j'ai fait pour mériter ça ?

C'est assez étonnant.

Nous savons bien que le malheur touche des tas de gens autour de nous, mais nous ne pensons pas qu'il peut nous toucher aussi.

Comment comprendre ce paradoxe ?

Depuis notre enfance, nous avons construit une théorie du monde et de nous-même assez naïve, mais très rassurante : je suis une bonne personne, je vis dans un monde contrôlable et sécurisant, et rien de grave ne peut m'arriver.

Une théorie utile

Cette théorie nous sert de base pour anticiper, pour travailler, obtenir les choses que l'on souhaite et éviter ce qui nous fait mal ou nous fait peur. On appelle cette théorie un schéma.

Cette croyance en un monde juste nous permet de vivre au quotidien avec assez d'espoir et de confiance dans notre futur. Elle nous permet de fonctionner de manière efficace, pour planifier des objectifs et pour agir.

Que se passerait-il si j'étais pleinement conscient de mon impuissance à contrôler le monde dans lequel je vis ?

Je me sentirais très vulnérable et inquiet, car tout pourrait alors arriver, à moi et à ceux que j'aime. Il n'y aurait plus de logique. Même les bonnes personnes, dont je fais partie, pourraient alors subir des drames terribles !

Et les mauvaises personnes pourraient s'en tirer comme ça, sans payer d'une manière ou d'une autre leurs mauvais comportements !

Insupportable.

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Tout vient la renforcer

On retrouve déjà cette croyance en un monde juste chez l'enfant. Très jeune, il croit qu'une faute sera automatiquement punie. Non seulement il s'attend à ce que ses parents punissent ses fautes, mais il attribue spontanément à la nature le pouvoir d'appliquer les mêmes punitions.

Et cette croyance va être renforcée à l'occasion de nombreuses situations de la vie quotidienne.

Vous lisez à votre enfant la fable la cigale et la fourmi : la cigale qui se comporte d'une façon désinvolte l'été n'a plus rien à manger l'hiver, alors que la fourmi qui a fait preuve d'un grand sérieux est assurée l'hiver venu de ne pas mourir de faim.

C'est facile pour un enfant de déduire que si quelqu'un a froid, a faim ou souffre, c'est qu'il a dû être plus cigale que fourmi.

La religion nous enseigne aussi que les bons seront récompensés et les mauvais seront punis.

La vie quotidienne nous montre que si on ne se prépare pas assez, si on ne prend pas assez de précautions, si on ne fournit pas un travail suffisant et de qualité, on doit s'attendre à des conséquences négatives.

Si on voit une personne qu'on juge sympa, jolie, énergique, consciencieuse, généreuse, intelligente, et bien on aura tendance à lui souhaiter de bonnes choses. Mais malheur à celle qui ne correspond pas à ces valeurs !

Et celle qui sera considérée comme moche, paresseuse, stupide, inamicale, celle-là mérite d'être punie d'une manière ou d'une autre !

Les films, les séries télévisées, et les romans finissent bien pour les gentils et très mal pour les méchants. Le bien doit toujours triompher du mal. Batman triomphe sur le Joker.

Vous voyez : nous méritons ce que nous avons et nous avons ce que nous méritons !

C'est cela un monde juste.

La dissonance cognitive

Et si la fin du film ou de l'histoire ne finit pas selon ce schéma, nous sommes mécontents, tristes, mal à l'aise, parfois même en colère.

Tout simplement parce que nos schémas sur le monde juste ne sont pas respectés, et nous nous trouvons dans un état que les psychologues appellent un état de dissonance cognitive.

Ce qui se passe dans la réalité ne correspond pas à ce que mon esprit attend.

Et quand on se retrouve dans un état de dissonance cognitive, on cherche à réduire le malêtre, le désarroi que nous ressentons.

Surtout ne pas remettre en question notre croyance en un monde juste

La solution ?

Il suffit tout simplement de considérer que les gens qui sont victimes d'un malheur le méritent, d'une manière ou d'une autre : ils ont été imprudents, ils ont trop mangé, trop bu ou trop fumé, ils ont été méchants, ils se sont mal comportés, ils ont menti. Vous compléterez la liste !

Des expériences réalisées par des psychologues ont démontré quelque chose de très intéressant. Si vous voyez une personne victime d'un acte qui vous semble "injuste", qu'allez-vous faire ? La défendre ? Et bien non, pas du tout !

Vous allez lui reprocher quelque chose pour justifier qu'elle soit soumise à un acte qui vous parait injuste. Vous allez la blâmer et la dénigrer, et non la protéger !

Pourquoi ?  Parce que cette solution vous permet de ne pas remettre en question votre vision d'un monde juste. Si quelqu'un souffre, c'est qu'il l'a mérité !

Et puis un beau jour...

Tant que nous ne sommes pas victimes d'un événement grave, douloureux ou traumatique, tout va bien. Il y a bien des personnes qui souffrent, mais elles vivent dans leur monde. Moi je vis dans mon monde, et mon monde est juste.

Et puis un beau jour, une catastrophe arrive : décès d'un être aimé, accident de voiture, maladie, incendie… Notre vision d'un monde juste est remise en question. Pourquoi ça me touche moi ? Comment allons-nous réagir à cette attaque de notre vision du monde ?

Face à ce drame, je dois reconsidérer ma vision du monde et construire une nouvelle théorie, un nouveau schéma. Je découvre que le monde n'est pas juste et je dois m'adapter à cette nouvelle vision.

C'est quoi la justice ?

Il y a une autre façon de comprendre que les mots juste et injuste sont inappropriés pour décrire le monde et les événements qui nous touchent.

Tout est affaire de définition. Employer le mot juste nous renvoie à la définition de la justice. Et la justice, c'est la loi. Elle est créée par les hommes et elle est valable pour tous, et pas seulement pour moi. Puissant ou humble, riche ou pauvre, homme ou femme, bon ou mauvais, la même loi s'applique à tous.

Retenez que ce qui est juste, c'est ce qui respecte à la fois la loi et l'égalité.

La même loi s'applique à tous. Ce qui est injuste, c'est donc ce qui viole la loi et l'égalité. Si une personne échappe à une condamnation parce qu'elle connaît quelqu'un d'influent, on peut dire que c'est injuste. Le principe d'égalité n'est pas respecté.

Le mot "injuste" n'est pas approprié

Si on revient aux événements traumatiques qui nous frappent, aucune loi n'interdit les maladies, les catastrophes naturelles ou les accidents.

Le terme "injuste" n'est tout simplement pas approprié pour décrire le monde et ce qui nous arrive de douloureux, car notre malheur ne transgresse aucune loi.

En plus, si on se laisse entrainé par cette idée d'injustice, on risque d'être envahi par la colère et la révolte. Certaines colères sont utiles, quand elles permettent un changement positif. Une révolution permet de faire évoluer la société par exemple. Le peuple s'est révolté contre le roi et la société a été transformée.

Mais face à un événement traumatique, contre quoi ou qui peut-on se révolter ? Contre le sort, contre Dieu, contre le corps médical ?

Cette révolte risque de tourner en rond car elle ne produira aucun changement utile. Elle nous maintiendra au contraire dans notre souffrance et notre impuissance.

Voilà, j'espère que ces quelques explications vous aideront à revoir votre vision du monde sans être obligé de subir un événement traumatique !

Je reviendrai dans une autre vidéo sur les processus qui nous aident à nous adapter quand nous sommes victimes d'un traumatisme qui remet en question notre croyance en un monde juste.

A bientôt !


Bibliographie

Ronnie Janoff-Bulman (1989). Assumptive Worlds and the Stress of Traumatic Events: Applications of the Schema Construct. Social Cognition: Vol. 7, Special Issue: Stress, Coping, and Social Cognition, pp. 113-136. https://doi.org/10.1521/soco.1989.7.2.113

    Francois Louboff

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