Agressions sexuelles dans le sport : le grooming
Plusieurs athlètes ayant subi des agressions sexuelles ont déjà lancé des cris d'alarme, il y a plusieurs années, sans grand résultat.
Par exemple Isabelle Demongeot, ancienne championne de France de tennis, qui décrit en 2007 dans son livre "Service volé" les viols qu'elle a subis de son entraineur, Régis de Camaret.
Récemment, c'est la patineuse française Sarah Abitbol qui est sortie du silence. Dans son livre "Un si long silence", elle dévoile les viols que son entraineur lui a infligés de 15 à 17 ans.
La parution de ce livre semble avoir un peu sorti le gouvernement de son inertie.
Il annonce en effet des mesures de prévention et de prise en charge des violences dans le milieu sportif.
Mais il n'y a pas que les stars sportives qui sont victimes.
Selon une enquête conduite par le ministère de la santé, de la jeunesse et des sports en 2009, plus de 11 % des athlètes interrogés déclaraient avoir subi au moins un acte de violence sexuelle en milieu sportif.
Et cette proportion atteignait 17 % pour les sportifs de haut niveau. Dans d'autres études, plus de 20 % des enfants confiés à une institution sportive sont victimes de violences sexuelles.
Toutes les institutions
Vous savez que les violences sexuelles envers les enfants existent dans toutes les institutions.
Et la première, de très loin, c'est le milieu familial, dans lequel ont lieu 80 % des agressions sexuelles sur les enfants.
Malheureusement, les demandes des associations de victimes pour la création d'un plan inceste restent depuis des années sans réponse de l'état.
Bien sûr, d'autres institutions sont touchées : l'église, les milieux éducatifs, le milieu médical pour n'en citer que quelques-unes. En fait toutes les institutions sont concernées dès lors que des enfants y sont pris en charge.
Et comme on l'a découvert dans toutes les autres institutions, les responsables hiérarchiques étaient informés de ces agressions sexuelles mais ont préféré se taire et protéger l'institution plutôt que de secourir les victimes.
Le plus souvent entre sportifs
Dans les agressions sexuelles subies par les sportifs de très haut niveau et qui ont été médiatisées, c'est l'entraineur qui est l'agresseur.
Mais l'enquête que j'ai citée tout à l'heure montre que la majorité des agressions sexuelles dans le sport ont lieu entre sportifs sans qu'il y ait un écart d'âge important entre l'agresseur et la victime.
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D'autre part, quand on parle d'agressions sexuelles dans le sport, on imagine souvent que c'est toujours un homme qui agresse une femme. Et bien ce n'est pas vrai puisque une fois sur 5, c’est-à-dire dans 20 % des cas, l'agresseur est une femme et les hommes sont victimes dans 40 % des cas.
Enfin, les agressions sexuelles dans le sport n'ont pas toujours lieu dans des endroits isolés, puisque dans presque la moitié des cas déclarés, les violences auraient eu lieu dans des contextes collectifs.
Quand l'entraineur agresse un enfant
Ceci étant précisé, je vais vous parler maintenant essentiellement des agressions sexuelles commises par les entraineurs sur de jeunes sportifs, et qui représentent selon la même enquête 9 % des violences déclarées.
Une relation particulière
Qu'est-ce qui différencie les agressions sexuelles commises par un entraineur sportif des agressions sexuelles commises dans d'autres situations ?
Et bien c'est la relation très particulière qui unit l'athlète à son entraineur.
Les jeunes sportifs intègrent les filières sportives très jeunes, parfois dès l'âge de 10 ans. Souvent, les athlètes de haut niveau sont coupés de leur milieu familial et de leurs amis. Ils grandissent dans un monde hors norme.
L'entraineur est là pour les transformer et les faire évoluer et leur relation peut devenir fusionnelle.
L'entraineur devient pour l'enfant une figure paternelle, un mentor et souvent la seule personne qui peut les rassurer. Il détient une telle autorité que son comportement est rarement remis en cause, d'autant qu'il a la confiance aveugle des parents.
Mais il a aussi le pouvoir d'éjecter l'enfant du système du jour au lendemain.
Et malheureusement, le sport est un environnement idéal pour l'agression sexuelle. Des comportements qui seraient considérés comme inacceptables dans d'autres milieux sont considérés comme normaux dans le milieu sportif, ce qui peut empêcher le jeune athlète de se rendre compte de ce qui se passe.
Dans son travail, l'entraineur est amené à toucher le corps de l'enfant, pour le guider dans son apprentissage, corriger une posture ou pour le protéger lors d'un geste technique.
Et l'entraineur malintentionné va profiter de cette relation fusionnelle. Il pénètre lentement l'espace personnel de l'enfant par le toucher physique, la familiarité verbale et le chantage émotionnel.
Le grooming
L'entraineur utilise le plus souvent une stratégie très réfléchie qu'on appelle le grooming.
Grâce au grooming, l'entraineur établit avec l'enfant ou l'adolescent une connexion émotionnelle et une amitié qui permettront plus facilement de convaincre ou de contraindre le jeune à s'engager dans des comportements sexuels.
On distingue plusieurs types de grooming : le grooming de l'enfant, celui des parents et celui de l'institution. Cela veut dire que l'entraineur gagne non seulement la confiance de l'enfant, mais aussi celle des parents et celle de l'institution.
Le grooming a plusieurs étapes
D'abord l'entraineur cible une ou souvent plusieurs victimes potentielles, pour être certain de parvenir à ses fins avec au moins l'une d'elles.
Il construit une relation de confiance et d'amitié. Il fait tout ce qu'il faut pour que l'enfant se sente spécial en lui apportant des récompenses, des cadeaux, dont il se servira plus tard pour obtenir ce qu'il veut sexuellement.
Il isole et contrôle l'enfant, et s'arrange pour développer une relation de loyauté avec lui, qui devient une véritable relation de dépendance et d'emprise.
Puis il agresse l'enfant sexuellement et s'assure que sa victime gardera le secret.
Ce processus de grooming peut durer des semaines, des mois voire des années.
Le grooming est en fait un processus de conditionnement
C'est une stratégie consciente et volontaire.
L'enfant n'a souvent pas la capacité de se rendre compte que quelque chose d'anormal se passe, du moins au début.
Il est progressivement mis en confiance à l'aide de marques d'attention et d'affection. L'entraineur teste l'enfant et sa capacité à accepter des attitudes limites. Et petit à petit, il repousse les limites de ce qui est acceptable.
La relation qui se tisse entre l'entraineur et l'enfant ressemble tellement à une collaboration que l'acte sexuel peut donner l'apparence d'une relation voulue et acceptée par l'enfant.
Le fait que le piège soit progressif permet à l'agresseur de se protéger, d'obtenir la coopération de l'enfant et de renforcer le secret. La dépendance qui s'installe ne permet pas à l'enfant de résister aux avances de l'abuseur, qui peut utiliser des menaces et le chantage pour empêcher le jeune sportif de parler.
Pas de consentement possible
Certains entraineurs ont affirmé que le jeune sportif était consentant.
Rappelez-vous que le consentement nécessite que l'enfant puisse savoir précisément à quoi il consent et qu'il soit libre de consentir.
Aucune de ces deux conditions n'est présente, évidemment.
Comment parler de liberté quand un entraineur utilise un tel abus de pouvoir et de confiance pour agresser l'enfant ?
Manipulation et ambiguïté
L'entraineur devenu agresseur sexuel est devenu un maitre dans la manipulation de l'ambiguïté.
Toucher une partie du corps lors de l'entrainement, faire une bise pour récompenser un bon match ou la réussite d'une figure difficile, faire une caresse discrète sur l'épaule, donner une tape sur les fesses, en signe d'affection…
Et c'est ainsi que la toile d'araignée se tisse.
Tous ces comportements peuvent être vus comme innocents mais aussi comme le point de départ d'un grooming.
Et l'agression sexuelle peut être précédée de nombreux comportements inappropriés : des gestes, des commentaires ou des plaisanteries sexuellement orientés ou le fait de montrer à l'enfant des images pornographiques.
L'agresseur passe de la confiance, à la séduction puis à l'agression.
Ces agressions se font souvent "en douceur", par abus de confiance et abus d'autorité. Et c'est la position de puissance donnée à l'entraineur par l'institution sportive qui lui permettra de violer cette confiance.
Facteurs de risque
On connait certains facteurs de risque, qu'on retrouve souvent dans les situations d'agressions sexuelles dans le sport.
Certains facteurs sont liés à l'enfant lui-même : avoir une relation distante avec ses parents, être une jeune femme, avoir une faible estime de soi, avoir peu d'amis, avoir du talent dans son sport, et être dévoué à son entraineur.
Les garçons aussi peuvent être victimes, mais c'est nettement moins fréquent.
D'autres facteurs de risque son liés à l'entraineur : être un homme plus âgé, avoir une bonne réputation dans le milieu et avoir la confiance des parents.
Enfin, certains facteurs sont liés au sport, notamment les nombreuses opportunités de partir loin de la maison et le peu de moyens de dévoiler les agressions. Il ne semble pas y avoir de différence entre les sports individuels et collectifs.
Une fois que l'agression sexuelle a eu lieu, elle va souvent se répéter.
L'enfant ne peut pas dévoiler
Et l'enfant ou l'adolescent victime ne dira rien, ou exceptionnellement. Il y a en effet de nombreuses barrières qui l'en empêchent.
D'abord des barrières personnelles
L'enfant peut déjà ne pas comprendre que la relation est anormale, il n'a pas les connaissances pour étiqueter cette relation comme abusive.
La honte et la culpabilité qui vont envahir l'enfant l'empêchent aussi souvent de parler pour dévoiler ce qu'il subit. Il a peur des ragots et d'être stigmatisé.
Il y a des barrières liées aux autres
L''enfant peut craindre les réactions des personnes à qui il pourrait parler. Il peut aussi avoir peur des conséquences pour lui-même, pour sa famille et pour l'agresseur.
Il peut avoir peur d'être puni, exclu de l'équipe et de ne plus pouvoir participer aux tournois.
Il peut également avoir peur de ne pas être cru ou de ne pas être assez soutenu.
Il y a enfin des barrières socio-culturelles
Elles sont liées à l'image du sport dans la société et à la manière dont certains considèrent les victimes d'agressions sexuelles.
Comment dire la vérité alors que tant de personnes continuent à banaliser le problème, et même à accuser la victime ou à douter de sa crédibilité ?
Et quand l'image sociale du sportif est celle d'un être résistant et résilient, comment réussir à dire qu'on est une victime ?
Et si l'enfant dévoile ces agressions sordides, il va confronter son entourage à une image du sport totalement contraire à l'image que tous les gens en ont. Le sport n'est-il pas censé porter des valeurs très fortes, en particulier de moralité ! Et faire du sport, c'est censé être bon pour la santé et aider l'enfant à grandir et à développer des compétences !
Les conséquences des agressions sexuelles
Comme dans toutes les agressions sexuelles, il peut y avoir de nombreuses conséquences douloureuses pour les victimes.
Les conséquences physiques
Elles sont plus faciles à détecter et elles doivent se faire poser la question d'une éventuelle agression sexuelle : douleurs, fatigue, troubles du sommeil, énurésie, variations de poids en plus ou en moins, état général qui se dégrade, problèmes gastro-intestinaux, cardiovasculaires ou gynécologiques notamment.
D'autres conséquences seront psychologiques
On peut citer les dépressions, les troubles anxieux, les tentatives de suicide, le trouble obsessionnel compulsif, le syndrome de stress post-traumatique, la mauvaise image de soi, l'abus de substances et les dépendances à certains produits.
Certains comportements devront aussi attirer l'attention
Par exemple faire du mal aux autres, que ce soient des animaux, des camarades ou des membres de la famille, des difficultés relationnelles liées à un manque de confiance, des comportements dangereux, aussi bien dans l'activité sportive qu'en dehors du sport.
Par exemple un entrainement obsessionnel, des prises de risque anormales, des blessures inexpliquées ou de moins bonnes performances.
Il peut s'agir aussi d'automutilations ou de l'abandon précoce et inattendu de l'activité sportive elle-même.
Alors comment réduire les risques ?
De nombreuses mesures doivent être prises.
L'une d'elle, qui vient d'être décidée par l'état, est de pouvoir vérifier le bulletin 2 du casier judiciaire et le fichier judiciaire automatisé des auteurs d'infractions sexuelles ou violentes (FIJAISV) pour tous les bénévoles qui travaillent dans les clubs et les fédérations sportives.
C'est déjà une obligation pour les entraineurs salariés et les personnes qui gèrent les clubs sportifs.
Mais la plupart des agresseurs n'ont jamais été découverts ni condamnés.
Il est indispensable de former et d'informer toutes les personnes impliquées dans le sport, entraineurs, sportifs, bénévoles, personnel administratif, médical et psychologique, sur les relations adéquates dans l'exercice de leurs fonctions.
Il est impératif d'élaborer des règles de management comportemental, une sorte de charte de bonne conduite, qui précisera de manière très claire les limites dans les diverses relations et les comportements inacceptables :
- ne jamais rester seul dans une pièce avec un jeune,
- ne pas aller dans les vestiaires,
- ne pas le raccompagner chez lui,
- ne pas communiquer par l'intermédiaire des réseaux sociaux qui permettent aux agresseurs d'avoir plus facilement accès aux victimes en dehors des limites professionnelles. Snapchat notamment qui permet d'effacer très rapidement les messages échangés et facilite le passage d'une maltraitance sexuelle virtuelle à une agression sexuelle physique,
- ne pas dormir dans la même chambre lors des déplacements sportifs.
Et bien d'autres mises en garde encore.
Certains endroits et certaines situations sont connus pour être particulièrement à risque pour les enfants. Par exemple les chambres d'hôtel où ils peuvent dormir lors des déplacements sportifs, les maisons et les voitures des entraineurs, les événements de groupe où l'alcool coule à flot, les fêtes de fin d'année ou bien les bizutages qui ont lieu malgré leur interdiction.
On doit informer les jeunes sportifs de leurs droits et leur apporter des ressources, comme par exemple le numéro national d'aide aux victimes (08 842 846 37).
On doit former les jeunes à la gestion émotionnelle et leur donner le pouvoir de dévoiler les agressions qu'ils subissent. Il est donc nécessaire d'élaborer des procédures claires et simples pour encourager et faciliter leur dévoilement.
Et il faut pouvoir mettre en route systématiquement des mesures disciplinaires et des actions en justice quand de telles agressions ont lieu.
L'institution sportive doit elle-même mettre en tête de ses priorités la protection des enfants qui lui sont confiés. Elle doit montrer aux enfants qu'ils peuvent parler et qu'ils ne subiront aucune punition ni aucun rejet.
Elle doit élaborer un plan de prévention des risques, et apprendre le principe du consentement à toute personne travaillant pour elle.
Aider les victimes
Et si toutes les mesures préventives n'ont pas suffi à empêcher une agression sexuelle, les victimes doivent pouvoir être prises en charge par des professionnels formés à la psychotraumatologie, et notamment à la thérapie EMDR.
Bibliographie
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Owton, Helen and Sparkes, Andrew C. (2017). Sexual abuse and the grooming process in sport: Bella’s story. Sport, Education and Society, 22(6) pp. 732–743.
Décamps, G., Afflelou, S., Jolly, A., Dominguez, N., Cosnefroy, O. et Eisenberg, F. (2009). Etude des violences sexuelles dans le sport en France : contextes de survenue et incidences psychologiques. Rapport de recherche réalisé dans le cadre de la Convention de recherche n° 960 E6A TT M053 : Direction des sports, Ministère de la Santé de la Jeunesse et des Sports / Laboratoire de Psychologie Santé et qualité de vie EA4139, Université Victor Segalen Bordeaux2.