L’inceste entre frères et sœurs : une autre épidémie ?

Vous savez que la majorité des agressions sexuelles sur les enfants ont lieu au sein même de la famille. Aujourd’hui, 10 % des enfants sont victimes d’inceste. Cela représente 2 enfants dans une classe de 20 élèves. Multipliez par le nombre de classes du premier degré en France, environ 300 000, et vous aurez une idée de l’épidémie.

Mais il y a des agressions sexuelles dont on parle moins, celles qui se déroulent entre frères et sœurs.

Ces agressions sexuelles prennent de nombreuses formes, allant de l’exposition d’un frère ou d’une sœur à de la pornographie jusqu’à des actes de pénétration forcée en passant par des caresses sexuelles.

Fréquence

Quelle est la fréquence de ces agressions sexuelles entre frères et sœurs ? Et bien c’est très difficile à dire, car de nombreux comportements sexuels entre frères et sœurs sont considérés comme des comportements normaux d’exploration et de découverte qui ont lieu à certaines étapes de leur développement.

Aux États-Unis, plus d’un tiers des agressions sexuelles sur les enfants sont commises par d’autres mineurs, et une enquête en 2000 a montré que la moitié de ces agressions étaient des cas d'inceste entre frères et sœurs. La moitié d’un tiers, ça fait donc 15 %.

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On retrouve ce chiffre dans une enquête réalisée en 1978 auprès d'étudiants de la Nouvelle-Angleterre ; 15 % des femmes et 10 % des hommes déclaraient avoir eu des rapports sexuels avec un frère ou une sœur. Mais parmi ces relations sexuelles, on ne connait pas la proportion d’agressions sexuelles qui restent très probablement sous-estimées.

Pourtant, certains chercheurs affirment que les agressions sexuelles entre frères et sœurs sont plus fréquentes que l’inceste entre un parent et un enfant. Elles seraient même la forme la plus répandue et la plus durable d'agressions sexuelles intrafamiliales, celle qui a les pires répercussions, mais aussi celle qui est la moins signalée, la moins étudiée et la moins traitée.

S’agirait-il d’une épidémie dans l’épidémie, d’une nouvelle épidémie cachée ? Car la société ignore ou minimise les conséquences pour les enfants et les familles de l’inceste fraternel. L’inceste entre frères et sœurs serait-il le secret le mieux gardé dans le domaine de la violence familiale ?

Pour quelles raisons les agressions sexuelles entre frères et sœurs sont-elles sous-estimées ?

En premier, parce que 14 % seulement des enfants victimes en parlent au moment des faits, alors que 50 % des enfants agressés par un adulte dévoilent l’agression qu’ils ont subie.

L'enfant victime hésite à se plaindre auprès de ses parents pour plusieurs raisons : la culpabilité, la loyauté envers la famille, la peur de représailles, la crainte de ne pas être cru, la honte ou le déni.

Et il aura d’autant plus de difficultés à révéler à ses parents ce qu’il subit et à obtenir leur soutien que le frère ou la sœur qui l’agresse a le statut privilégié d’enfant préféré des parents.

En fait, la plupart des victimes ne parleront de leurs agressions qu’une fois devenues adultes.

Pour les parents, comment faire la différence entre des comportements sexuels d’exploration normale et des comportements abusifs ?

Certains signes orientent vers les comportements d’agression. Premièrement, quand il y a un écart d’âge important. Un contact sexuel entre un garçon de 12 ans et sa sœur de 5 ans évoque évidemment tout autre chose que ce qui se passe entre deux frères et sœurs de 5 et 6 ans qui découvrent mutuellement leurs différences.

Deuxièmement, certaines activités dépassent l’exploration normale, comme des pénétrations vaginales ou anales, ou des relations bucco-génitales.

Enfin, la présence d’une contrainte manifeste ou l’utilisation de la force et de la violence oriente évidemment vers une agression.

Mais la contrainte peut ne pas se voir, car derrière un consentement apparent peut très bien se cacher la peur, la menace ou la manipulation.  Et rappelons que l’enfant est de toute façon dans l’incapacité de donner un consentement éclairé.

Pas que le frère agresseur et la sœur victime

Sœur agresseuse

Quand on évoque l’inceste entre frères et sœurs, on pense d’abord au frère agressant sa sœur. Mais il y a également des sœurs qui agressent sexuellement leur frère plus jeune, même s’il est difficile d’en connaitre la fréquence. Ces sœurs agresseuses sont souvent elles-mêmes victimes d'agressions sexuelles de la part d’adultes de la famille.

Les garçons victimes de leurs sœurs représentent probablement une minorité des victimes masculines, et ils auront moins tendance à signaler les agressions à cause de la gêne que ressentent souvent les garçons à admettre l’agression, à montrer leur vulnérabilité, et à demander de l'aide.

De plus, les garçons victimes d'agressions sexuelles de la part de sœurs plus âgées peuvent ne pas percevoir la relation comme une agression, car les réactions physiologiques positives, comme l'excitation sexuelle, viennent compliquer la question de la responsabilité et de la réciprocité.

Et chez les adolescents, les sensations physiologiques associées à l'orgasme favorisent des troubles du comportement et en particulier des comportements sexuels inappropriés.

Entre frères

Quant à la fréquence des agressions sexuelles entre frères, on ne la connait pas. Mais on sait que les agressions sexuelles les plus graves peuvent désinhiber la sexualité des garçons, entraînant des comportements compulsifs ou délinquants sur le plan sexuel.

Entre sœurs

Enfin, dans les rares cas d’inceste entre sœurs, la plupart, voire toutes les sœurs agresseuses ont été agressées par leur père et/ou leur frère aîné avant d’agresser sexuellement leur sœur, et elles commencent leurs actes à un âge plus précoce que les garçons agresseurs.

Ces agressions entre sœurs commencent à un âge plus précoce que les agressions commises par les garçons, et elles sont associées à moins de force et de violence et moins de contrainte. Elles sont aussi moins persistantes dans le temps.

Mais même si les recherches montrent qu’elles sont moins traumatisantes et que leurs conséquences sont habituellement moins dévastatrices par rapport aux agressions commises par des garçons, la trahison liée à l'agression sexuelle entre sœurs peut être très traumatisante pour certaines survivantes.

L’évolution dans le temps

Comment évoluent les comportements d’agression sexuelle entre frères et sœurs ? Et bien ils semblent diminuer à mesure que les agresseurs passent du début de l’adolescence au milieu de l'adolescence.

Les études montrent en effet que les délinquants sexuels juvéniles présentent un pronostic favorable, car les taux de récidive sexuelle sont bas.

Cette constatation remet en question l'hypothèse qui affirme que l’attirance fixe pour les jeunes enfants, c’est-à-dire la pédophilie, serait quasiment la seule motivation des agressions sexuelles commises par des mineurs.

Les conséquences

Quant aux conséquences négatives de l’inceste entre frères et sœurs, elles sont comparables à celles de l'inceste parental, et un faible écart d'âge ou un consentement apparent ne protègent absolument pas les victimes.

Les approches thérapeutiques

Alors comment faire face à ces agressions sexuelles entre frères et sœurs ?

C’est d’abord le soutien parental qui joue le rôle le plus important dans l'évolution des enfants victimes d'agressions sexuelles entre frères et sœurs.

Croire ce que dévoile l’enfant, le soutenir affectivement et le protéger de son agresseur sont les principales mesures que doivent prendre les parents. Il faut réduire les contacts avec l’agresseur et faire bénéficier l’agresseur, la victime ou les deux d’un suivi psychologique.

Un enfant qui bénéficie d'un tel soutien est moins susceptible de souffrir de réactions dissociatives persistantes, et la famille a souvent plus de chances de rester intacte après la révélation.

Malheureusement, quand un enfant affirme avoir été agressé par un adolescent, les parents ont plus tendance à ne pas le croire ou à le culpabiliser que si l’enfant dévoile une agression sexuelle par un adulte.

Conclusion

Vous avez compris que les agresseurs sexuels entre frères et sœurs n’ont pas de profil unique.

On retrouve souvent des familles perturbées, en particulier des parents absents et négligents émotionnellement envers leurs enfants.

Mais le dysfonctionnement familial ne doit pas être considéré comme le seul responsable des agressions sexuelles entre frères et sœurs, ce qui réduirait la responsabilité de l’agresseur et empêcherait de s’intéresser à ses propres difficultés.

Une fois l’agression connue, il est donc important d’avoir une approche globale et de soutenir à la fois l'enfant agressé, l'enfant auteur de l'agression, et la famille.

A bientôt pour une autre vidéo !

Bibliographie

CAFFARO, John V. Sibling abuse trauma: Assessment and intervention strategies for children, families, and adults. Routledge, 2013.

WATTS, Brad. Sibling Sexual Abuse: A Guide for Confronting America's Silent Epidemic. Amazon Digital Services LLC, 2020

TENER, Dafna, TARSHISH, Noam, et TURGEMAN, Shosh. “Victim, perpetrator, or just my brother?” Sibling sexual abuse in large families: A child advocacy center study. Journal of interpersonal violence, 2020, vol. 35, no 21-22, p. 4887-4912.

    Francois Louboff

  • Amélie dit :

    Bonjour François et merci pour cet article très intéressant.

    Plus généralement, entre enfant, comment repérer s’il y a juste des jeux de découverte sexuelle ou si la frontière de l’agression ou est franchie ? Ou que ces comportements sont inquiétants entre enfants et le symptôme d’éventuelles agressions par un adulte.

    Évidemment on peut chercher si les deux enfants étaient consentants. Par ailleurs, j’ai bien compris que la différence d’âge était un indicateur aussi à prendre en compte. J’avais entendu parler de la durée dans le temps: des jeux de découverte ne sembleraient pas durer dans le temps.

    Qu’en pensez-vous ?

    Merci !

    Amélie

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